Classica, février 2014
André Tubeuf
 
Verdi: La forza del destino, München, Vorstellung 28. Dezember 2014
 
Oreilles grandes ouvertes, yeux bien fermés
À l'Opéra de Munich, La Force du destin de Verdi réunissait le trio vedette Anja Harteros-Jonas KaufmannLudovic Tézier. Mais pourquoi faut-il donc une fois encore que des voix sublimes doivent se déployer dans une mise en scène d'une laideur et d'une platitude absolues? Pauvres chanteurs...
 
Utopique de trouver une place pour sept représentations de La Force du destin affichant une troisième fois le couple gagnant Harteros/Kaufmann (à gauche), rejoint en l'occurrence par Ludovic Tézier (debout à droite). Trois prises de rôle. Une politique à la fois de glamour et de fidélisation. Un triomphe. Le bémol à y mettre, c'est la laideur de ce que donne à voir Martin Kusej dans les scènes de genre (auberge, tambours et guerre, soupe populaire) qui font le charme de La Force et son décousu. C'est hideux et surtout c'est plat. Choeurs sublimes qui dansent ou se roulent par terre dans l'indifférence, consternant caveau bombardé, etc. Heureusement le cloître, sa paroi coulissante, sa longue table sont simples et utiles. Kusej montre son talent quand il fait bouger ses acteurs, et Kaufmann et Tézier le suivent couteau en main avec une défonce physique, une agilité sensationnelles. Harteros, droite, sculpturale dans sa robe noire stricte, engagée à l'extrême dans son propre personnage, échappe à Kusej. Elle chante, elle est, avec une intensité souvent immobile et qu'on dirait silencieuse. Pas de grâces belcantistes comme pour l'autre Leonora, celle du Trouvère. Mais une chasteté de ligne, vibrante pourtant, un rayonnement métallique qui va jusqu'à l'aveuglant, une cantilène souveraine. Suprême ! Le beau Jonas Kaufmann audiblement trouve l'air d'Alvaro bien tendu, et demandant plus de métal et de couleur qu'il n'en a à donner. Mais le personnage est parfait, intense, écorché vif. Munich rouvre les trois duos Alvaro/Carlo, faisant ceux-ci protagonistes absolus d'un opéra où Leonora souffre, chante et est sublime à part. Fraternité de soldats puis empoignades jusqu'au sang, ces duos ouvrent à Kaufmann et Tézier la totalité de l'éventail, de la compassion murmurée à la fureur noire. Ils y sont ahurissants à tous les égards. Avec un bon Guardiano sobre (Kowaljow), une Preziosilla (Krasteva) attifée et criarde, un chef (Ascher Fisch) attentif à la cantilène et qui maîtrise ses orages, une Force vocalement et musicalement à chérir, en fermant les yeux sur ses hideurs scéniques.














 
 
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