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Forum Opera, 08/27/13 |
par Claude Jottrand |
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Verdi: Don Carlo, Salzburger Festspiele, 13. August 2013
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Le triomphe de Pappano
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Œuvre éminemment complexe, mêlant géo-politique, tension religieuse,
intrigue amoureuse et drame familial, le Don Carlo de Verdi est présenté à
Salzbourg dans sa version longue, en italien, y inclus l'acte de
Fontainebleau. C'est près de cinq heures trente de spectacle, donc, que le
prestigieux festival autrichien dédie au bicentenaire de Verdi, en une
production grandiose qui est aussi une époustouflante réussite. Et c'est
cette réussite que viennent admirer à 400€ la place les représentants d'une
Europe qui ne connaît pas la crise, débarqués en tenue de soirée de
rutilantes limousines allemandes dès le milieu d'après midi, sous l'œil un
peu étonné des touristes en short, campés de l'autre côté du trottoir et
venus là comme au spectacle. Le festival de Salzbourg est fait, lui aussi,
de saisissants contrastes.
Il y a tout d'abord la mise en scène :
Peter Stein, en homme de théâtre accompli, a analysé l'œuvre dans ses
multiples dimensions et tend à nous les restituer toutes, avec un évident
souci du détail et une grande tendresse pour ses personnages. Rien n'est
blanc ou noir dans sa conception, tout est nuance, approfondissement, dans
un éminent souci du respect du texte et de l'esprit de l'œuvre, s'appuyant
sur les notes de Verdi lui-même, prises au fil des répétitions lors de la
création à l'opéra de Paris. Alors bien sûr, quelques esprits chagrins
pourront reprocher à cette mise en scène d'être trop près du texte : il n'y
a ici aucune volonté de ré-interprétation, de modernisation, de
transposition, contrairement à ce qui se fait un peu partout depuis une ou
deux dizaines d'années. Stein ne réécrit pas l'histoire - le livret est
riche assez pour qu'il n'y ait nul besoin d'en rajouter - il la montre avec
splendeur et minutie, comme le ferait un bon musicien, scrupuleux de sa
partition. Ce travail rigoureux lui permet de mettre en lumière des
personnages complexes, ambigus, pétris de contradiction, qu'il fait évoluer
avec faste et grandeur et dont il livre les combats intérieurs avec pudeur
et émotion. Le soin tout particulier, souligné d'ailleurs par la richesse de
la partition musicale, qu'il apporte aux duos, révèle une très fine
connaissance de l'âme humaine doublée d'une grande générosité. Il compose
par ailleurs quelques grandioses tableaux, inspirés par la peinture flamande
de l'époque, faisant subtilement alterner les atmosphère intimistes et les
grands déploiements d'effectifs que le plateau sur-dimensionné du Großes
Festspielhaus autorise.
Quelques touches discrètes créent des
émotions bien vives, comme lorsqu'à la fin du premier acte, la neige tombe
doucement sur le pauvre Don Carlo anéanti ; d'autres moments sont peut-être
un rien moins aboutis, comme le feu de l'autodafé simulé par images vidéo -
c'est un épisode toujours délicat si on ne veut pas prendre le risque de
réduire le théâtre en cendres... Les décors, mais surtout les costumes
somptueux contribuent bien entendu à créer ces atmosphères propices et
maintiennent un lien étroit avec la peinture d'époque : le chapeau de
Philippe II est celui de son portrait par Anguissola, les ors des robes
d'Elizabeth et d'Eboli, du gilet de Don Carlo semblent tirées de tableaux du
Titien, tout comme la robe violette du Grand Inquisiteur. C'est l'univers
sombre et violent, ce sont les sentiments exacerbés de la Renaissance qui
apparaissent ainsi sous nos yeux.
Il y a ensuite la distribution !
Elle réunit des chanteurs issus d'au moins trois générations, et puise dans
chacune d'elle les meilleurs éléments pour chaque rôle. La basse Matti
Salminen, qui commença sa carrière dans les années '60, incarne un Philippe
II désabusé et aux limites de son âge; certes, la voix accuse quelques
faiblesses, mais le personnage qu'il crée, à la fois terrible et dérisoire,
est d'une surprenante richesse, que souligne d'ailleurs la musique de Verdi,
qui lui réserve les plus beaux airs. Lorsqu'il chante, au début de l'acte
IV, ses désillusions d'époux (« Ella giammai m'amò ») - avec pour
contrepoint l'époustouflant solo du violoncelle - la salle, très
majoritairement dans la même tranche d'âge, partage son émotion en
tremblant. Dans la veine héroïque, Jonas Kaufmann est sans doute le meilleur
ténor du moment. La bonne surprise est de découvrir aussi, en plus d'une
voix au timbre incomparable, un acteur inspiré qui habite le rôle de Don
Carlo, velléitaire, névrosé, fruit de nombreux mariages consanguins, aux
limites de la déraison, avec beaucoup d'intensité. Vocalement il ose des
nuances pianissimo mettant sa voix complètement à découvert, exprimant la
vulnérabilité de son personnage de façon désarmante, comme en témoigne
l'exemplaire duo avec Elizabeth au cinquième acte, si subtilement conduit
par le chef aux limites de l'audible, et d'un saisissant effet dramatique.
Autre très grande vedette de la soirée, Thomas Hampson, aidé par un physique
toujours svelte et élégant, donne au rôle de Posa noblesse et caractère, en
même temps qu'une interprétation vocale exemplaire. Son air (« Moro per te
») puis son duo avec Don Carlo, lorsque le duc vient le rejoindre dans sa
prison, porte l'émotion à son comble, à la fois par la force dramatique du
livret mais aussi par la pureté de l'interprétation. Le Grand Inquisiteur
d'Eric Halfvarson, vieillard aveugle et irascible mais omnipotent, est une
composition parfaitement effrayante du dogmatisme religieux dans sa
dimension la plus totalitaire, de son emprise sur le politique, et renvoie
sans qu'il soit besoin de rien souligner aux problèmes de notre temps.
A ces quatre vedettes masculines, la production salzbourgeoise adjoint
une distribution féminine d'aussi grande qualité : Anja Harteros rivalise de
puissance et d'éclat avec Ekaterina Semenchuk. Si cette dernière semble un
peu supérieure sur le plan strictement vocal - les airs d'Eboli offrent un
incomparable podium aux chanteuses qui ont des moyens - la première
l'emportera sans doute par l'ampleur de sa palette interprétative, parvenant
à rendre la diversité des situations et des sentiments par lesquels passe la
pauvre Elisabeth avec une étonnante souplesse et beaucoup d'émotion. Plus
conventionnelle et plus discrète, l'interprétation de Maria Celeng dans le
rôle du page Tebaldo ne manque cependant pas de fraîcheur.
Mais ne
nous y trompons pas, les véritables artisans de cette magnifique performance
musicale sont aussi dans la fosse : l'orchestre philharmonique de Vienne
déploie tout au long de la soirée une richesse de couleurs, un soin dans les
solos et une cohésion exemplaires, de sorte qu'à aucun moment on ne sent le
temps passer. Certes, Antonio Pappano dispose là d'un instrument
incomparable, mais c'est tout de même à lui en dernier ressort, à sa
connaissance de l'art du chant, à son extrême sollicitude pour tous ses
partenaires, à son sens exemplaire de la construction dramatique mené par
une énergie infatigable, qu'on doit la réussite totale de cette soirée,
saluée avec enthousiasme par les très longs applaudissements du public
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