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Le Temps, 31 août 2012
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Par Julian Sykes |
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Verdi: Messa da Requiem, Luzern, 29. August 2012
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Une ferveur sanguine
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Daniel Barenboim a livré une interprétation intense et très théâtrale du
«Requiem» de Verdi, mercredi soir au Festival de Lucerne. Avec les forces de
la Scala et quatre grands solistes
«Un opéra en robe
d’ecclésiastique»? La formule du chef d’orchestre Hans von Bülow est
demeurée célèbre pour décrire le Requiem de Verdi. Elle correspond mot pour
mot à la vision qu’en offrait Daniel Barenboim, mercredi soir au Festival de
Lucerne. Il y avait un somptueux parterre de solistes (Anja Harteros, Elina
Garanca, Jonas Kaufmann et René Pape) pour cette messe des morts interprétée
par le chef «citoyen du monde» (Argentine, Israël, Espagne, Palestine), les
Chœurs et l’Orchestre du théâtre de la Scala de Milan. Une vision intense et
très théâtrale – latine, en somme.
Sanguin, capable aussi de diminuer
le volume sonore pour faire ressortir des frémissements aux cordes ou un
solo de hautbois, Daniel Barenboim façonne une grande fresque. Dès les
premières notes du «Requiem aeternam», on est frappé par la façon dont le
chef demande aux choristes de rouler le «r» dans «Requiem». Cette forme
d’accentuation, comparable à une sorte de râle, donne du relief à la phrase.
Les voix du Chœur de la Scala sont splendides de ferveur. Tout cela est
chanté du fond des tripes, avec un accent porté sur la dimension théâtrale
de l’œuvre au détriment d’une approche plus contenue et intimiste (la façon
dont Michel Corboz, avec des moyens certes plus modestes, envisage l’œuvre).
Ce parti pris n’exclut pas des instants de recueillement (les voix murmurées
à la fin du «Kyrie eleison»).
Le fameux «Dies irae», l’une des pages
les plus dramatiques de Verdi, est d’une puissance inouïe. L’orchestre,
renforcé par les cuivres et la grosse caisse, libère des torrents de
décibels! C’est très spectaculaire, porté par les voix enflammées des
choristes. L’appel des cuivres («Tuba mirum»), éparpillés tous azimuts entre
le plateau et les coulisses du Centre de la culture et des congrès de
Lucerne, fait tout son effet. Le contraste est d’autant plus marquant
lorsque la basse René Pape déclame «Mors stupebit», sur un ton rectiligne,
puis quasi chuchoté. La mezzo lettone Elina Garanca fait valoir son très
beau timbre (bas medium riche, aigu rond). On la sent un peu plus contrôlée
qu’Anja Harteros, dont le chant (l’ampleur des aigus!) est tout en émotion
et palpitations. Les deux voix féminines se marient du reste très bien.
Jonas Kaufmann (toujours cette fougue ténébreuse!) développe des
accents moins pathétiques que ceux d’un Rolando Villazón. Le ténor allemand
module sa voix entre ardeur et fragilité (l’art de la mezza voce) .
Noble et entier, René Pape est cette présence rassurante («Confutatis
maledictis»). La douleur du «Lacrimosa» fait place à la lumière de l’«
Offertoire» (les voix solistes en quatuor). Le «Sanctus» est pimpant et
roboratif. L’«Agnus Dei» nous replonge dans l’affliction. Le «Libera me»,
avec la voix d’Anja Harteros survolant les chœurs murmurés et l’orchestre à
la fin de l’œuvre, émeut. L’ultime fugue chorale regorge d’énergie jusqu’aux
dernières notes quasi éteintes. Silence. Et standing ovation.
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