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Concertonet
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Claudio Poloni |
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Verdi: Messa da Requiem, Luzern, 29. August 2012
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Un Requiem à couper le souffle
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Messe ou opéra? A moins qu’il ne s’agisse d’un «opéra en robe
d’ecclésiastique», pour reprendre la célèbre formule du chef d’orchestre
Hans von Bülow. Depuis sa création en 1874, le Requiem de Verdi n’en finit
pas de susciter les débats. Il faut dire que le compositeur, laïc catholique
non croyant, selon une autre formule fameuse, a habilement brouillé les
pistes. Pour Daniel Barenboim, la réponse est claire, comme il vient de le
prouver magistralement à Lucerne, après Milan et juste avant Salzbourg: sa
lecture de la partition est intense, pleine d’emphase, puissante et virile,
plus théâtrale que recueillie en fin de compte, à l’image du triple «forte»
du Dies Irae, qui n’aura jamais paru aussi effrayant, un sentiment renforcé
par les trompettes dispersées à différents endroits de la salle, comme si
elles annonçaient l’apocalypse. Mais le chef sait aussi faire ressortir les
frémissements et les murmures des autres passages, qu’ils soient douloureux
ou joyeux, comme le Sanctus, mais qui tous s’égrènent lentement et
majestueusement. Le contraste n’en est dès lors que plus saisissant. C’est
vrai, il y a peu de place ici pour les déchirements intérieurs et les
interrogations sur la destinée de l’être humain, mais on ne peut que
s’incliner devant tant de force et de puissance, devant ce qui apparaît
comme une telle évidence, une remarquable cohérence de bout en bout.
Il faut dire que Daniel Barenboim peut compter sur le Chœur et
l’Orchestre de la Scala, en forme superlative, pour lesquels le Requiem de
Verdi a toujours constitué une sorte de carte de visite. Le chœur? On
retiendra surtout ces «r» incisifs, exagérément roulés du Requiem aeternam
dona eis, qui s’élèvent comme sortis de nulle part, cette précision dans les
attaques, cette homogénéité des registres, cette façon de chanter qui vient
du plus profond de l’âme. L’orchestre? Que dire du bruissement des cordes
dès les premières mesures, qui finit par se transformer en long ruban
soyeux, des roulements de timbale à donner froid dans le dos, de la
rutilance des cuivres ou encore, on l’a dit, du déchaînement sonore du Dies
irae? Le quatuor de solistes est dominé par Anja Harteros, voix claire et
éthérée, qui semble planer au-dessus du chœur et de l’orchestre. Tout
simplement miraculeux. Le finale du Libera me restera comme le grand moment
d’émotion de la soirée. Elīna Garanca séduit par la chaleur et le velours de
son timbre ainsi que par ses accents impérieux, même si elle manque quelque
peu d’expressivité. Jonas Kaufmann est au somment de son art
lorsqu’il chante mezza voce, notamment dans l’Hostias, où se succèdent des
murmures à peine audibles. Prodigieux. René Pape semble moins
engagé que ses collègues, mais ses Mors donnent des frissons, résonnant
comme s’ils sortaient de la tombe. Une soirée musicale comme on n’en vit
qu’une ou deux par saison, et qui restera dans les annales du Festival de
Lucerne. Bonne nouvelle: le concert de Milan devrait être immortalisé en
DVD.
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