Altamusica
Gérard MANNONI
 
Konzert, Paris, 12. März 2012
 
Kaufmann-Nelsons, un duo bayreuthien
 
Concert de l’Orchestre Symphonique de Birmingham sous la direction d’Andris Nelsons, avec la participation du ténor Jonas Kaufmann au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
 
Lors du Lohengrin de Bayreuth 2010, Nelsons dirigeait Kaufman dans le rôle-titre. Ils se retrouvent au TCE pour ce concert Mahler-Strauss-Sibelius au curieux programme, pas toujours égal, mais où l’Orchestre Symphonique de Birmingham s’impose avec éclat, le lendemain d’une version de concert de Tristan qui a déjà fait couler beaucoup d’encre.

Jonas Kaufmann reste certes l’un des deux ou trois ténors les plus éblouissants de l’heure. Peut-il pour autant tout se permettre ? Ce concert vient de montrer que, en restant à un niveau de technicité difficile à égaler, il peut faire des choix discutables.

Aborder les Kindertotenlieder de Mahler écrits pour baryton peut être une tentation pour ce type de ténor aux moyens de plus en plus sombres et puissants. Est-ce pourtant sans risque ? Kaufmann donne de ces pages d’une énorme densité dramatique une interprétation en forme de leçon de chant, mais assez loin du contenu émotionnel du texte et de la musique.

Vocalement, tout est parfait, le souffle, les nuances, le legato, les intentions résultant d’une analyse très poussée. Il manque pourtant au timbre lui-même une qualité intrinsèque capable d’émouvoir par nature comme le furent ceux de Kathleen Ferrier, inégalable absolument, mais aussi de Fischer-Dieskau parfois presque trop théâtral, ou de Christa Ludwig, Jessye Norman et même des barytons contemporains comme Thomas Hampson, Wolfgang Holzmair ou Bryn Terfel, que ce soit au concert ou au disque.

L’œuvre a sans aucun doute besoin d’ombres spécifiques au vrai timbre de baryton. Kaufmann chante plus sur la voix que, pour une fois, sur les mots, et l’on peut s’en rendre compte après l’entracte dans le répertoire Strauss lui convenant à la perfection à tous égards.

Les Lieder qu’il interprète alors avec orchestre nous ramènent au meilleur Kaufmann, celui entendu voici peu en récital dans cette même salle. L’émotion fuse d’elle-même dans les demi-teintes, et la sensibilité toute en retenue de Ruhe, meine Seele, la voix se libère avec sa vraie générosité dans Cäcilie ou dans l’ample Zueignung donné en bis. La perfection.

Des comparaisons qui pour se situer à un niveau vocal extrêmement élevé, élitiste, n’en sont pas moins source de question. Encore une fois, le répertoire de Lieder et de mélodies n’est-il pas assez vaste dans toutes les langues que Kaufmann sait chanter pour qu’il éprouve la nécessité d’aller chasser sur les terres des barytons ? À moins qu’il ne prépare quelque évolution de sa voix pour un futur plus ou moins lointain ?

Déjà très impressionnante par sa ferveur, son intériorité et sa qualité sonore dans la partie chantée d’un programme curieusement articulé – vingt minutes de musique, puis entracte, puis une grande heure – la direction d’Andris Nelsons allait déployer toute sa force, son intelligence et sa personnalité dans la Deuxième Symphonie de Sibelius.

Peu connu et quasiment pas pratiqué chez nous, l’œuvre symphonique de Sibelius, avec de tels défenseurs, pourrait bien connaître le même cheminement que celui de Tchaïkovski et même de Berlioz, à savoir nous être révélé par le truchement de grands orchestres et de grands chefs étrangers.

L’association de l’excellent orchestre qu’est le Symphonique de Birmingham et du très talentueux chef Letton Andris Nelsons s’est en effet révélée assez fulgurante. La battue haute et large, tout le corps investi dans une gestique mue par les pulsations de la musique, Nelsons emporte cette partition aux couleurs inhabituelles dans un souffle assez irrésistible.

Il en révèle les nombreuses subtilités d’écriture et met en valeur le grand élan vital qui conduit l’œuvre à sa conclusion optimiste et polychrome. Il y a un investissement total, physique, dans sa direction qui pousse les instrumentistes dans leurs ultimes retranchements, les arrache à eux-mêmes. Et quels instrumentistes ! Harmonie magnifique abondamment sollicitée, quatuor mené par un premier violon de grande classe qui s’illustra déjà dans les Lieder de Strauss notamment.

Successeur depuis 2006 de Sir Simon Rattle à la tête de cette formation, Andris Nelsons est en train de rejoindre, à trente-quatre ans, la cohorte de tête de la nouvelle génération de grands chefs.




 






 
 
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