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Altamusica, 22 février 2012
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Gérard MANNONI |
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Recital, Théâtre des Champs-Élysées, Paris, le 20/02/2012
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La mélodie du bonheur
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En chantant un programme sans démagogie, consacré à Liszt, Mahler, Duparc et
Richard Strauss, Jonas Kaufmann a comme prévu donné une formidable leçon
d’interprétation de la mélodie au Théâtre des Champs-Élysées. Un récital
d’anthologie, digne des grands interprètes du genre qui rayonnaient il y a
un demi-siècle.
Il est évident que la voix de Jonas Kaufmann est
encore en pleine évolution. En 2007, ses Traviata de Paris et de Milan le
faisaient soudain passer de la famille des ténors estimables et prometteurs
à celle des superstars du monde lyrique. Quelques mois suffirent pour qu’il
se trouve sur les plus grandes scènes du monde aux côtés des plus illustres
partenaires.
CD et DVD firent le reste, tandis qu’effectivement, la
voix ne cessait de s’étoffer pour s’orienter à l’évidence vers des rôles
lourds. On attendit les épreuves de Lohengrin à Munich et à Bayreuth, celle
de Siegmund au Met de New York. Obstacles franchis sous les louanges
unanimes.
Aucune surprise donc à constater, dès le premier Lied de
Liszt de ce programme franco-germanique, que la voix s’est encore affermie
dans le grave et a amplifié l’éclat d’un aigu sans problèmes. Comme parfois
en récital avec piano, Kaufmann met quelques instant à s’installer dans sa
voix, peut-être légèrement trop appuyée dans l’aigu.
Mais ce n’est
que très passager, d’autant que le ténor a toujours cette incroyable
maîtrise de toutes les nuances possibles, de l’extrême piano au forte le
plus puissant, un souffle absolument contrôlé qui lui permet de mener une
phrase à son terme avec la plus totale continuité, quelle que soit la nuance
requise.
Il y a chez lui une variété de couleurs et de dynamiques que
l’on avait perdu l’habitude d’entendre dans ce répertoire depuis l’heureuse
époque des Fischer-Dieskau, Wunderlich, Schwarzkopf et autres Ludwig.
À un timbre d’une qualité rare, Kaufmann ajoute, on le sait maintenant
depuis, une musicalité d’exception, une intelligence des textes magistrale
et une capacité de chanter les mots avec autant de clarté en allemand qu’en
français ou en italien. Tout cela explique comment il a pu obtenir pareil
triomphe dans un Théâtre des Champs-Élysées où pas un siège n’était vide
avec un ensemble de mélodies allemandes et françaises sans concessions à la
facilité.
Six mélodies de Liszt ouvrent le programme, étranges, quasi
expressionnistes, tour à tour douloureuses, poétiques, narquoises ou presque
philosophiques. Der König in Thule, Ihr Glocken von Marling, Die drei
Zigeuner, sont des moments d’exception. Viennent ensuite les cinq
Rückert-Lieder de Mahler conclus par un Um Mitternacht d’anthologie.
Mais c’est sans doute la deuxième partie du concert qui restera le plus
profondément gravée dans les mémoires. Kaufmann a su trouver la plus exacte
manière d’aborder cinq mélodies de Duparc, (L’Invitation au voyage, Phidylé,
le Manoir de Rosemonde, Chanson triste et la Vie antérieure), univers des
plus difficiles à saisir et à investir sans sombrer dans le mélodrame
artificiel.
Il a su trouver un lyrisme, une capacité d’émotion
fidèles au texte et à la musique en gardant une pudeur qui va de paire avec
une très belle intériorité et des contrastes de dynamique expressifs,
justes, signifiants. Et puis, quelle qualité d’élocution en français ! Mais
cela n’est pas une découverte. Souhaitons que le disque saisisse l’occasion
pour graver ce répertoire bien trop délaissé faute d’interprètes de cette
trempe.
Quant aux six mélodies de Strauss qui terminent le récital et
dont plusieurs comptaient parmi les incontournables d’Elisabeth Schwarzkopf
comme Schlechtes Wetter, Morgen ou Cäcilie, elles se situent elles aussi à
un niveau d’interprétation exceptionnel tant par la multitude d’intentions
que la technique permet de transmettre que par la démonstration d’une
maîtrise vocale qui a aujourd’hui bien peu d’équivalents.
Son
partenaire d’élection, le pianiste Helmut Deutsch, a naturellement assuré
son rôle avec une solidité irréprochable. Triomphe donc et bis multiples,
terminés par un remerciement au public parisien venu du cœur… et du Pays du
sourire, Dein ist mein ganzes Herz, qui met la salle en délire !
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