La Croix, 24/01/2010
Emmanuelle GIULIANI
Massenet: Werther, Paris, 14. Januar 2010
Werther, « spleen et idéal » à l'Opéra Bastille
 
La nouvelle production du chef-d’œuvre de Massenet bénéficie d’une interprétation somptueuse qui explore la profonde tristesse d’une partition prenante et subtile

Si les lois de l’audimat suivaient celles de la beauté, Arte devrait séduire demain soir 99 % des télé spectateurs… La chaîne culturelle retransmet, en effet, en quasi direct la représentation de Werther de Jules Massenet (1842-1912) depuis l’Opéra Bastille, à Paris. Un spectacle admirable servi par un plateau de chanteurs au sommet et la merveilleuse direction d’un grand spécialiste ès musique française, le chef d’orchestre Michel Plasson, que l’on n’avait pas vu sur la scène lyrique parisienne depuis longtemps…

L’image pourra sembler plus décevante, la mise en scène de Benoît Jacquot faisant évoluer les protagonistes de manière minimale dans de vastes décors sans réel charme, à l’exception de celui du troisième acte, intérieur vide éclairé de belles lumières nordiques. Heureusement, chaque chanteur possède le physique de son rôle, une diction du français irréprochable et une aisance dramatique que le petit écran devrait restituer avec bonheur.

D’autant que Benoît Jacquot – le cinéaste que l’on sait, mélomane de longue date – assure lui-même la captation de sa mise en scène pour la télévision. Le jeu des regards, des expressions fugaces et des gestes à peine esquissés, indéniable qualité de sa direction d’acteurs, sera davantage perceptible que dans l’immense et froide nef de la Bastille.

Violence et une ferveur renversantes

Inspiré du court roman de Goethe publié en 1774, Werther fut créé plus d’un siècle après (1892), en Allemagne puis en France. Ce drame lyrique en quatre actes narre l’histoire d’amour impossible entre un poète mélancolique et une jeune fille promise à un autre, fidèle à son devoir. Elle et lui se cherchent et se fuient sans cesse, jusqu’à l’union finale qui peut, on s’en doute, n’être scellée que par la mort.

La grande force de l’œuvre réside dans le décalage entre la passion de Werther qui éclate dès les premiers instants et ne faiblira jamais, traversée par des élans d’espoir et des vagues de souffrance, et l’amour de Charlotte, tout aussi tumultueux mais ne se révélant qu’au mitan de l’opéra avec une violence et une ferveur renversantes.

Le couple formé par la mezzo-soprano française Sophie Koch et le ténor allemand Jonas Kaufmann incarne à ravir ces amants romantiques, incroyablement beaux, vivants mais hantés par le tragique. Elle possède une voix chaude et charnelle, un peu courte peut-être dans le registre grave mais d’une splendide intensité émotionnelle.

Quand respire-t-il au juste ?

Sa Charlotte est jeune fille et femme à la fois, vibrante. À ses côtés, Jonas Kaufmann justifie une fois encore le triomphe que lui réservent les scènes internationales. Le voir, l’entendre figure une expérience exceptionnelle. Comme un ciel changeant, tantôt brumeux et voilé, son timbre est traversé soudain des rayons d’un brillant soleil.

Sa ligne de chant (quand respire-t-il au juste ?) épouse chaque mot, chaque inflexion avec une grâce et une intelligence sidérantes : écoutez comment, à la fin du deuxième acte, lorsque Werther évoque pour la première fois explicitement le suicide, elle est déjà passée dans l’au-delà… À l’instant suprême, c’est en murmurant qu’il dira adieu à Charlotte éperdue.


Pour soutenir et dialoguer avec de tels artistes (les seconds rôles sont tous remarquables, à commencer par la radieuse Anne-Catherine Gillet, jeune sœur de Charlotte fraîche et enjouée), il faut un orchestre tout de finesse, d’écoute et de tendresse. Ses éclats n’en sont alors que plus impressionnants.

Michel Plasson est orfèvre en la matière, poète respectueux et complice de chaque nuance vocale. On n’oubliera pas de sitôt la bouleversante introduction – quelle orchestration sous la plume de Massenet ! – de «l’air des lettres » de Charlotte. Ni le tapis sonore indicible déroulé sous les soupirs de Werther agonisant.
 

 






 
 
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