Diapason, 20 août 2010
Emmanuel Dupuy
Lohengrin de Wagner. Bayreuth, Festspielhaus, le 17 août.
 
Lohengrin à Bayreuth
 
Souvenez-vous : à Salzbourg, le Così pornographe honni par Karita Mattila c’était lui, La Chauve-souris chez les petits-bourgeois nazis lui encore, et aussi l’Idoménée berlinois trop vite censuré pour cause de blasphème envers Mahomet. Hans Neuenfels, le plus turbulent des metteurs en scène allemands, vient de faire ses débuts à Bayreuth avec Lohengrin. Les amateurs de provocation auront cependant été déçus, sauf à considérer comme un acte subversif le fait de transposer l’action dans un univers noir et blanc, kafkaïen, peuplé… de rats et de souris. Sans doute faut-il voir là une habile métaphore des jeux de pouvoir et soumission ; filée trois longs actes durant, celle-ci a tout de même tendance à s’essouffler, d’autant qu’elle est encore alourdie par quelques petits films d’animation sur la vie de nos amis rongeurs – dont les pitreries ont au moins le mérite de dérider les festivaliers. L’impétueux monsieur Neuenfels se serait-il mué en professeur livrant son explication de texte à coup d’encombrants symboles ? Reste une caractérisation psychologique bluffante et quelques images fortes, jusqu’à l’apparition finale, non du cygne, mais d’un œuf géant renfermant l’homme nouveau à l’état de foetus – 2001 : L’Odyssée de l’espace n’est pas loin.

On venait aussi pour d’autres débuts à Bayreuth, ceux de Jonas Kaufmann. Deux jours après son Florestan de Lucerne, il nous faut encore déposer notre couronne de superlatifs sur le front de ce Lohengrin. Immédiate séduction vocale et physique, précision du mot et de la note, « In fernem Land » et « Mein lieber Schwann » en apesanteur, le Festspielhaus en orbite autour de la terre à six mille kilomètres d’altitude...

Alentour, hélas, les bonheurs sont plus partagés. Blondeur sans lumière, aigu en berne, l’Elsa d’Annette Dasch n’a pour elle que sa sincérité et ses dons de musicienne. Organe impressionnant, mais expression encore verte et monochrome, le Roi de Georg Zeppenfeld répond au Héraut éclatant de Samuel Youn. Couple Telramund improbable, peu digne de Bayreuth, elle (Evelyne Herlitzius), compensant ses vociférations par une flamme et des emportements indéniables, lui (Hans-Joachim Ketelsen), irrémédiablement fâché avec la justesse.

Dans la fosse, le jeune et talentueux Andris Nelsons (à trente et un ans il est directeur musical de l’Orchestre symphonique de Birmingham) semble avoir fait forte impression lors de la première. Mais en ce soir de quatrième représentation, on s’avoue plutôt déçu par de nombreuses imprécisions, un manque d’éclairs et de sortilèges, que rachète cependant un art certain de l’accompagnement du chant.

Une question pour finir : pourquoi les spectacles créés sur la colline sacrée depuis une dizaine d’années relèvent-ils tous de la même esthétique ? Si l’on ne veut pas que ce Regietheater d’école germanique finisse par faire office de nouvel académisme, et pour que perdure l’esprit de l’atelier Bayreuth, il serait grand temps que d’autres esthétiques, d’autres démarches théâtrales aient enfin droit de cité.






 
 
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