Le Temps, 14 août 2010
Jonas Pulver
Beethoven: Fidelio, Luzern, 12. August 2010
 
«Fidelio», une symphonie vocale à Lucerne
 
L’unique opéra de Beethoven ouvre le plus grand festival de Suisse, avec un Jonas Kaufmann magnifié par la baguette de Claudio Abbado


Jonas Kaufmann (à droite) impressionne par la tessiture immense de sa voix. (Lucerne Festival / Georg Anderhub)
Un mot suffit. Une note, née comme de rien au coin de la voix. Elle grandit, elle prend par surprise, immense en moins de deux, comme ivre d’emplir si fort l’espace. Ce n’est pas seulement l’ampleur du crescendo, ni l’essor vibratoire, ni la puissance sonore qui impressionnent. Ce qui subjugue, c’est combien le timbre est multiple, capable de s’iriser à l’infini, depuis le cuir feutré d’un baryton très haut placé jusqu’au vif-argent du ténor dramatique – la tessiture de Jonas Kaufmann est immense.

Au KKL de Lucerne, il faut attendre la seconde partie du Fidelio de Beethoven pour apprécier le talent du chanteur munichois, qui fait également fureur à Bayreuth cet été dans Lohengrin. Jeudi, il parachevait le très beau casting d’interprètes dépêchés par le chef Claudio Abbado en ouverture du Lucerne Festival. La plus grande plate-forme helvétique consacrée au classique continue d’incarner une certaine conception du prestige. Hormis Didier Burkhalter et la dramaturge Nike Wagner, tous deux orateurs en prologue du concert, Moritz Leuenberger et l’acteur italien Roberto Benigni étaient également dans les rangs.

Fidelio, son unique opéra, Beethoven s’y est pris à trois reprises pour l’écrire. Cette histoire d’épouse travestie, décidée à secourir son mari emprisonné, en a gardé quelque chose de laborieux; elle ne livre pas facilement ses nombreux joyaux. La version «semi stage» proposée à Lucerne (un décor de manteaux militaires sous une immense lune laiteuse) reste du domaine de l’anecdote. Les enjeux sont à chercher du côté musical, et Claudio Abbado sait soigner le mystère et réserver ses effets. Il traite les récitatifs avec des cordes saisies sur le vif, très «historiquement informé». Mais le Mahler Chamber Orchestra sait aussi se faire généreux pour servir les nombreuses interventions instrumentales. Fidelio, c’est en quelque sorte une grande symphonie vocale.

Située en contrebas des chanteurs, l’orchestre met un peu de temps à équilibrer efficacement son volume. Si le ténor Christoph Strehl (Jaquino) et la basse Christof Fischesser (Rocco) n’ont aucun problème à passer la rampe, les délicatesses de la Suissesse Rachel Harnisch (Marzelline) peinent à s’imposer au début. Soprano lyrique capable d’endosser les rôles les plus lourds du répertoire, Nina Stemme campe une Leonore/Fidelio aux aigus ronds, vibrés, privilégiant la chair plutôt que la clarté. Quant à l’Arnold Schönberg Chor, il offre à l’ensemble une présence analytique, soulignant la forte composante spirituelle, voire liturgique de l’écriture beethovenienne.

 






 
 
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