classiqueinfo.com, 15 décembre 2008
Karine Boulanger
Beethoven: Fidelio, Paris, Palais Garnier, 11 décembre 2008
Retour manqué de Fidelio à l’Opéra de Paris
Pour le retour de Fidelio sur la scène de l’Opéra national de Paris après plus de vingt ans d’absence, Gérard Mortier avait souhaité marquer les esprits avec une nouvelle production confiée au metteur en scène Johan Simons, au chef d’orchestre Sylvain Cambreling et à l’écrivain Martin Mosebach. Pari… perdu
Quelques semaines avant la première, on connaissait déjà une partie des orientations choisies. Désireux de conserver à l’œuvre toute sa cohérence dramatique, Sylvain Cambreling avait indiqué qu’il ne souhaitait pas donner l’ouverture Leonore III avant le final du deuxième acte, selon une tradition remontant aux représentations dirigées par Gustav Mahler à l’Opéra de Vienne en 1904. Si cette décision est parfaitement défendable, on peut hésiter en revanche sur le choix de substituer à l’ouverture de Fidelio, celle dite Leonore I et de changer l’ordre des numéros du début du premier acte. Si l’auditeur y gagne le beau trio « Ein Mann ist bald gekommen » provenant de la première mouture de Leonore, on se trouve désormais devant une œuvre « hybride » qui n’est plus ni Fidelio, ni Leonore…

Tout ceci ne serait qu’une peccadille si Gérard Mortier n’avait pas souhaité faire changer les dialogues parlés. Arguant du fait que ces dialogues ne seraient pas au niveau de la musique composée par Beethoven, la direction de l’Opéra a fait appel à Martin Mosebach qui en a écrit de nouveaux, plus « parlants » à nos oreilles contemporaines, plus « profonds ». Las ! Ces textes ressassant des considérations peu subtiles sur la tyrannie, la manipulation, la torture, la paix ou la liberté sont anti-dramatiques au possible, trop longs, et jurent avec les textes des numéros chantés, plus simples ou de tonalité différente. Ainsi, Pizarro soliloque pendant de longues minutes sur l’art de la manipulation avec un machiavélisme à la petite semaine avant de se lancer rageusement dans son air (« ha, welch ein Augenblick ! »). Ajoutons que ces dialogues indigestes sont régulièrement interrompus de longs silences et mettent l’attention du spectateur à rude épreuve.

Certes, il nous reste la musique de Beethoven, mais là encore, il est difficile d’échapper à l’ennui, distillé cette fois-ci par la direction de Sylvain Cambreling. Après une ouverture (Leonore I) qui semble sous articulée, les numéros se suivent à des tempi d’enterrement. L’orchestre sonne très bien, mais couvre régulièrement les chanteurs et les pupitres paraissent mal équilibrés. On notera une attention constante portée aux parties intermédiaires, la volonté de souligner tel ou tel détail, mais aussi un manque de nuances et une absence totale de sens dramatique. L’air de Leonore (« Abscheulicher ! ») est d’une platitude navrante, le chœur des prisonniers ne connaît aucune progression, aucune élévation, et l’air de Florestan est littéralement déstructuré par une battue s’enlisant au fur et à mesure. Ce n’est malheureusement pas le finale du second acte, pris à un tempo étourdissant mais brutal et tonitruant, qui pourra communiquer à l’auditeur l’exultation des dernières strophes.

La distribution est dans l’ensemble de très haut niveau, malgré une Angela Denoke à contre-emploi, interprète toujours fascinante et touchante, mais dont la voix est trop frêle pour le rôle de Leonore. L’instrument est mis à rude épreuve par une ligne vocale tendue (et peu aidé par les tempi choisis par le chef d’orchestre) et manque tout simplement de puissance, contraignant la chanteuse à crier ses aigus, toujours à la limite de l’accident. Jonas Kaufmann sera sans doute un Florestan parfait dans d’autres conditions, mais on note d’ores et déjà une sensibilité extrême et un format vocal idéal pour ce rôle. Franz-Josef Selig, malgré une légère fatigue, traduit bien la simplicité, la lassitude et la peur de Rocco. Alan Held est un excellent Pizarro, machiavélique, ne reculant devant rien, malheureusement ridiculisé par la mise en scène. La Marzelline de Julia Kleiter et le Jaquino de Ales Briscein n’appellent que des éloges. Paul Gay est un Don Fernando plus que correct auquel on peut peut-être reprocher un certain manque d’autorité.

La mise en scène de Johan Simons, enfin, après un Simon Boccanegra diversement apprécié, ne restera sans doute pas dans les mémoires. L’ensemble est respectueux de l’œuvre avec des décors représentant une prison bourrée d’électronique évoquant quelque Guantanamo contemporain, des jeux de lumières peu convaincants, et une direction d’acteurs bien timide qui ne profite sans doute pas assez des qualités de jeu de la distribution réunie.
Photo: © Bernd Uhlig






 
 
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