Le Soir, 21 juin 2007
FRICHE,MICHELE
Verdi : La Traviata, Paris, Palais Garnier, 06/16/2007 - et 19, 24, 27, 30 juin, 3, 6, 8, 12 juillet 2007
Entre Piaf et Dior, passionnant !
Christophe Marthaler met en scène « La Traviata » à Paris
La Traviata, dans les ors (re)flambant neufs du Palais Garnier, n'a pas échappé au folklore parisien des premières lyriques. Huées, cris et gestes : sus au metteur en scène Christophe Marthaler ! Le chef, Sylvain Cambreling échappe à peine moins à la vindicte du sérail. Derrière eux se profile la fidélité artistique des choix de Gérard Mortier.

Leur « crime » ? Avoir enlevé l'héroïne de Verdi à son berceau XIX e siècle, à son luxe traditionnel, avoir transformé la courtisane sacrifiée à la vertu hypocrite en un petit moineau à la Piaf, tandis qu'autour d'elle grouille la haute couture de 1930 à nos jours. Pas de manichéisme dans ce monde : la souffrance s'y épingle aussi, avec une étrange figure muette, une Vénus nue sous sa fourrure, qui se casse comme une poupée - double de Violetta ?

Le lieu ? Une salle de spectacle froide, avec ses vestiaires, sa scène surélevée, son plancher de bal, ses hauts murs en béton et ses fantastiques néons verticaux. Superbe scénographie d'Anna Viebrock inspirée d'une Kulturhaus désaffectée de l'ex-Allemagne de l'Est. Ce décor parle, suinte, déteint sur les personnages. Il est en quelque sorte monstrueux et violent, lieu de représentation sociale et de terrible solitude quand une jeune femme y meurt, seule, en contrebas de la scène, s'y laisse glisser comme dans une tombe. Des fleurs, comme de vieux papiers, traînent sur le sol. Ce décor servira aussi pour l'acte de la campagne, la scène devenant une sorte d'atelier, entre tondeuse à gazon et machine à coudre.

Humour, cynisme, mélancolie

Comme souvent chez Marthaler, humour, cynisme (clins d'oeil à la machine opéra) et mélancolie vissée au coeur de chaque personnage tissent une trame serrée. Toute la Traviata, en somme, un peu plus proche de nous.

Christine Schäfer n'a pas toujours l'ampleur capiteuse que certains attendent de Violetta, mais quelle intelligence, quel frémissement et quelle probité dans la ligne de chant ! L'Alfredo de Jonas Kaufmann, en puissance et demi-teintes, est encore un gamin, mal à l'aise dans la mondanité, brutal par passion. Ces deux-là vous retournent les tripes ! Germont (José Van Dam) affiche la respectabilité bourgeoise de pied en cap, mais joue, sur le fil d'un chant généreux, l'ambiguïté des sentiments.

Quant à la direction de Cambreling, elle respire avec la scène de Marthaler, sans sanglots mais violente, douloureuse, elle crée le terreau d'un véritable théâtre en musique. Il y a entre eux un corps-à-corps qui force une autre écoute. Passionnant !






 
 
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