LE MONDE, 20.06.07
Renaud Machart
Verdi : La Traviata, Paris, Palais Garnier, 06/16/2007 - et 19, 24, 27, 30 juin, 3, 6, 8, 12 juillet 2007
Une "Traviata" sur la mauvaise voie
Il y a deux façons de mettre en scène un spectacle. La première est la "méthode entonnoir" ou, pour les cas extrêmes, la "méthode hachoir" : elle consiste, pour un metteur en scène, à faire passer coûte que coûte le sens d'un ouvrage par le tuyau plus ou moins broyeur de sa vision personnelle. C'est ce que vient de faire, comme beaucoup de ses collègues aujourd'hui sur les scènes lyriques notamment, le Suisse Christoph Marthaler, qui a essuyé les huées d'un public furieux lors de la première de cette nouvelle production de La Traviata, de Giuseppe Verdi, à l'Opéra de Paris.

La seconde méthode, hélas peu pratiquée ! consiste à regarder ce que l'oeuvre dit et à mettre son propre univers en résonance naturelle avec le propos et la musique. L'un des exemples les plus éblouissants de ce talent vient d'être donné par Patrice Chéreau avec De la maison des morts, de Janacek, à l'Opéra d'Amsterdam (Le Monde du 7 juin), spectacle qui sera présenté lors du Festival d'Aix-en-Provence. Mais tout le monde n'est pas Chéreau, qui n'est pas toujours lui-même et à qui il est arrivé de pratiquer la "méthode entonnoir".

Celle-ci est cependant souvent le signe d'un univers originellement fort. Celui de Marthaler, est-il besoin de le rappeler, est l'un des plus singuliers de la scène théâtrale européenne, mais il pèche par l'univocité de sa vision, filtrée par une éternelle paire de bésicles passablement ironiques et déformantes : comme chaque fois, la chair est triste, l'amour une chose que l'on donne sans y croire à quelqu'un qui n'a pas la force de le refuser, le tout baignant dans l'alcool, la drogue, la misère. Soit.

Le monde, et particulièrement celui de La Traviata ("La dévoyée"), n'est pas un long fleuve tranquille, chacun le sait, mais un regard dessillé ne devrait pas empêcher d'être visionnaire. Evidemment, Violetta Valéry, la dévoyée, doit être une star mythique. Peter Mussbach, à Aix, en avait fait une Marilyn ; Marthaler en fait une Edith Piaf mourant dans les détritus, soutenue par un jeune amant, dans le décor unique constitué par Anna Viebrock, une fois de plus dans le style d'une salle des fêtes de sous-préfecture des pays de l'Est, millésime 1964.

AVEC UNE BOUTEILLE

Bien sûr, alors que tout est décadence luxueuse, Marthaler renonce à ce qu'il appelle le "réalisme champagnisé". Dans la maison de campagne d'Alfredo (c'est toujours la salle des fêtes), un personnage répare une tondeuse à gazon. Bien sûr, on sert le breuvage pétillant dans des verres de plastique. Un personnage finit d'ailleurs par glisser le pied desdits verres entre ses doigts de pied. Une acrobate - sosie d'Eddie Sedgwick, camée météorique - joue avec une bouteille dont elle semble vouloir faire un accessoire sexuel - mais non. Dommage, car il n'y a guère d'autre chose à se mettre sous la dent dans ce spectacle prévisible dans sa volonté de ne l'être pas.

Christine Schäfer, sorte de Pierrette lunaire en absolu contre-emploi, tire sa voix en tête d'épingle du jeu. On l'aimait davantage en Chérubin rappeur qu'en dévoyée un peu courte de jambes. Son partenaire, Jonas Kaufmann, fait sensation, d'abord par son physique de star de cinéma. Mais quelle voix, et quel musicien... Il chante en artiste et non en ténor, capable de pianissimos et de vrais sons à décoller le plafond de Chagall.

Le chef Sylvain Cambreling ne mérite pas les huées qui l'ont accueilli à son retour en fosse après l'entracte, mais que sa direction est plate, sans finesse, sans élan ! C'est le seul qui pouvait comprendre la Traviata de Marthaler, a fait savoir le directeur de l'Opéra de Paris. Va donc pour Cambreling, tant pis pour Verdi.






 
 
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