Le Figaro, 19 juin 2007
CHRISTIAN MERLIN
Verdi : La Traviata, Paris, Palais Garnier, 06/16/2007* - et 19, 24, 27, 30 juin, 3, 6, 8, 12 juillet 2007
Un destin de théâtre
La Traviata de Verdi à l'Opéra Garnier
Il y a du progrès : les huées qui accueillent habituellement Christoph Marthaler à Paris étaient bien là pour la première de La Traviata, mais réservées au rideau final, alors que pour Les Noces de Figaro elles perturbaient le cours du spectacle. Le public serait-il en train d'admettre qu'il ne s'agit pas d'un charlatan qui peint des moustaches à la Joconde, mais d'un grand homme de théâtre ? Ses productions ne sont ni réalistes ni contemporaines : avec sa décoratrice Anna Viebrock, il modernise mais n'actualise pas, créant toujours un effet de dépaysement. Le chef-d'oeuvre de Verdi se déroule dans les vestiaires et la buvette d'une salle de spectacles sinistre des années 1950, où les invités mènent une vie de fêtards factice et mécanique, sans aucune place pour la joie. Peter Mussbach avait fait de Violetta une Marylin, avec déjà Christine Schäfer : c'est à Édith Piaf que Marthaler identifie la dame aux camélias. La soprano allemande est Édith, ce petit bout de femme si fragile et si fort, dont la rage de vivre est aussi intense que la santé est délabrée. Marthaler en fait un destin de théâtre en renversant les rôles : bien qu'elle soit en représentation, c'est elle qui est vraie, les autres relevant d'une convention que le metteur en scène dénonce avec son ironie féroce. Quelle émotion, quelle poésie, lorsque les lumières s'éteignent et que les personnages se figent pendant que Violetta-Édith, éclairée par une poursuite de music-hall, chante ses sentiments intimes comme en un récital imaginaire ! Commenter la direction de Sylvain Cambreling à part n'aurait aucun sens car elle est appariée à la mise en scène. Avec sa lecture impitoyablement analytique, son tempo funèbre (presque aussi lent que Giulini à la Scala en 1955), il met la fosse en phase avec la scène. Comme l'orchestre, il faut écouter la distribution en oubliant ses références italiennes. Oui, Christine Schäfer a la voix bien légère et bien lisse pour un rôle aussi latin, mais chez elle la fragilité fait la force, la froideur l'expressivité. Voix très allemande aussi pour le ténor Jonas Kaufmann, barytonnant, cuivré, quasi-wagnérien, tandis que Germont père n'a jamais été le meilleur rôle de José van Dam.






 
 
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