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Simon Corley
Verdi : La Traviata, Paris, Palais Garnier, 06/16/2007 - et 19, 24, 27, 30 juin, 3, 6, 8, 12 juillet 2007
Heureuse surprise
Après deux Donizetti (voir ici et ici) et deux Verdi (voir ici et ici), la saison de l’Opéra national de Paris prend fin sur neuf représentations de La Traviata (1853): avec deux nouvelles productions verdiennes créées à dix jours d’intervalle, c’est comme si Gérard Mortier voulait prendre de court ceux qui lui reprochent de ne pas programmer, par goût personnel, suffisamment d’opéra italien.

Voici dix ans, la précédente Traviata (à Bastille) n’avait pas laissé de souvenirs impérissables. Celle-ci était en revanche précédée de promesses de scandale, car la mise en scène en échoit à Christoph Marthaler: or, si sa Katia Kabanova salzbourgeoise avait été bien accueillie (voir ici), ses Noces de Figaro ont ensuite suscité l’une des plus vives controverses de l’ère Mortier.

Pétard mouillé pour les uns? Soulagement pour les autres? Toujours est-il que le metteur en scène suisse, s’il a essuyé avec son équipe un accueil houleux, mêlant ovations et huées, ne dynamite pas l’œuvre, mais en propose une transposition cohérente, animée par le souci au demeurant fort classique de tenter de réactualiser pour les spectateurs du XXIe siècle ce qui pouvait séduire, émouvoir ou choquer ceux du XIXe. Comme l’Emilia Marty de L’Affaire Makropoulos transformée par Krzysztof Warlikowski en Marilyn Monroe (voir ici), Violetta appartient ici également au (demi-)monde des stars: tour à tour artiste – Edith Piaf, dont elle adopte la robe noire et la gestuelle caractéristique, chantant certains de ses couplets sous un cercle de lumière comme dans un music-hall – et vedette des media – avec ces fleurs et animaux en peluche jonchant le sol devant son lit de mort, comme aux abords du palais de Kensington au moment du deuil de Lady Di.

Marthaler n’en reste pas moins fidèle à des marottes et à des procédés désormais bien connus, qui, de ce fait, perdent de leur effet de provocation ou de surprise. Le décor unique, réalisé comme de coutume par Anna Viebrock, consiste en une vaste salle parquetée, éclairée par d’immenses luminaires métalliques de forme allongée, copiés sur ceux de feue la maison de la culture de Chemnitz, l’ancienne Karl-Marx-Stadt. Comme dans Katia Kabanova, l’arrière-plan est surplombé par une petite scène, rideau compris, qui, davantage que du «théâtre dans le théâtre», permet d’établir un contrepoint avec la scène principale et, au troisième acte, constitue même le cadre de la chambre de Violetta.

Dans l’univers de Marthaler, le trivial et le sordide, mais aussi le burlesque et le grotesque conservent une place centrale, notamment au travers de ces personnages ou figurants qui mènent leur vie, indifférents à l’action: un invité qui se soulage dans un coin du hall au premier acte; Annina qui, au premier tableau du deuxième acte, range méticuleusement des robes dans des housses de plastique transparent avant de les suspendre au plafond tandis qu’à ses côtés, on s’affaire à réparer une tondeuse à gazon; ou bien, de façon plus énigmatique, au second tableau, des danseurs qui, littéralement, grimpent aux rideaux. Quant aux grandes pages chorales, elles s’ouvrent à l’humour, voire à la dérision, à commencer par le fameux toast, où tous s’abandonnent à des mouvements d’une raideur caricaturale.

Mais en dehors de ces moments déjantés, qui ne jurent d’ailleurs nullement dans la société superficielle et vulgaire autour de laquelle se noue l’intrigue, la direction d’acteurs, respectant presque scrupuleusement le livret, se révèle en fin de compte parfaitement traditionnelle, les protagonistes chantant souvent debout, immobiles face au public. Quant à la façon de tendre à l’assistance un miroir dans lequel elle est censée se reconnaître – le vestiaire du premier acte reproduit ainsi ceux du Palais Garnier – elle n’étonne plus, tant elle a déjà été utilisée dans le passé. Anna Viebrock signe également, avec Dorothee Curio, des costumes brillants et passe-partout, qui offrent un défilé de haute couture féminine et masculine des années 1930 à nos jours.

Dans Janacek comme dans Mozart, Marthaler avait déjà collaboré avec Sylvain Cambreling. La cabale visant l’un des rares rescapés de la pléiade mise en place en 2004 par Mortier – ces sept «chefs permanents» (Cambreling, Dohnanyi, Gergiev, Jurowski, Minkowski, Nagano et Salonen) qui devaient se substituer à un directeur musical unique – n’a pas perdu de sa virulence, à en juger par la bronca qui s’élève au moment du salut précédant le lever de rideau du troisième acte. Si elle ne suscite pas l’enthousiasme, sa direction ne mérite pas pour autant un tel excès d’indignité, quand bien même la mise en place paraît quelquefois imprécise: non seulement son style affûté, voire sec et brutal, est désormais familier, mais il se montre ainsi en phase avec ce que l’on voit sur scène, tout en veillant à ne pas couvrir les chanteurs.

Cette attention profite tout particulièrement à Christine Schäfer, qui parvient ainsi à passer la rampe malgré une projection pourtant limitée. Si la soprano allemande a déjà interprété Violetta, mais aussi Gilda (Rigoletto) ou Adina (L’Elixir d’amour), son nom reste toutefois principalement associé à d’autres répertoires (mozartien, postromantique ou moderne): réservée plus qu’exubérante – et même assez mal à l’aise, en petite rousse aux robes trop courtes, juchée sur ses talons compensés durant toute la première moitié du spectacle – sa Violetta, sans brûler les planches, s’impose toutefois par ses qualités techniques et expressives, même si les aigus du premier acte manquent de peu, à deux reprises, de se briser et si le grave de la tessiture manque vraiment de puissance.

La prestation de José Van Dam en Germont ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices: trois mois plus tôt, il était dans Louise un père dramatiquement convaincant mais vocalement en difficulté. Irrégulière, ayant perdu une grande partie de sa rondeur d’antan, la voix n’en a pas moins retrouvé des couleurs et même souvent de la justesse, tandis que l’acteur reste égal à lui-même, donnant une juste incarnation du père d’Alfredo. C’est précisément le jeune Germont qui apparaît comme le grand triomphateur de la soirée: prestance, aisance, brio, vaillance, richesse du timbre, qualité du phrasé, rien ne semble devoir manquer à Jonas Kaufmann, qui, se jouant des acrobaties qui sont parfois exigées de lui, chante aussi bien assis qu’allongé, tête en bas ou en portant Violetta.

Marthaler à la mise en scène, Cambreling dans la fosse, Schäfer dans le rôle-titre: l’affiche pouvait susciter perplexité, voire inquiétude. Elle offre pourtant sans nul doute, après la reprise d’un médiocre Simon Boccanegra et le récent ratage du Bal masqué, la meilleure réussite verdienne de la saison.






 
 
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