Scènes magazine, Genève, décembre 2007
Éric POUSAZ
Humperdinck: «Königskinder» à l'Opéra de Zurich, 21 OCTOBRE 2007
Zurich : Königskinder
Engelbert Humperdinck est surtout connu des amateurs d’opéras par son opéra pour enfants conçu sur le thème de Hänsel et Gretel, dont le Grand Théâtre a proposé une excellente version il y a quelques années. Les six autres titres qu’il a écrits pour la scène lyrique sont totalement tombés dans l’oubli, à l’exception de ces Enfants de Roi que l’Opéra de Zurich, deux ans après Munich, vient de reprendre après quatre-vingt-dix-ans d’oubli (la dernière mise en scène sur le plateau zurichois date d’avant la première guerre mondiale…)

Contrairement à ce que le titre pourrait faire croire, il ne s’agit pas là d’un nouvel opus destiné aux enfants. Le conte qui sert de fil conducteur à l’intrigue n’existe pas en tant que tel mais a été concocté par Ernst Rosmer qui a utilisé plusieurs éléments traditionnels pour créer une histoire complètement originale. L’intrigue tourne autour de la vie malheureuse de deux enfants de sang princier qui sont méconnus de leur entourage ; l’amour naissant entre les deux êtres peut faire croire à un happy end, mais la faim puis la maladie viennent à bout du courage de ces exclus de la société qui finissent par se laisser mourir de froid devant la porte d’une ferme où le prince a mis en gage sa couronne contre une misérable bouchée de pain qui ne calmera pas leur faim… Seul un musicien ambulant a reconnu la nature royale des jeunes gens, mais comme il est artiste, personne n’ajoute foi à ses propos et il survient trop tard pour apporter du réconfort aux amants tragiques.

La musique de Humperdinck s’inspire de certains airs populaires, mais elle est de nature nettement plus savante (car le travail thématique fait preuve d’une originalité avant-gardiste affirmée) que dans Hänsel et Gretel. Désireux de renouveler son langage, le compositeur explore en effet les différentes formes que peuvent prendre les rapports de la musique au texte et met au point, dans la première version de l’ouvrage créée à Munich, une sorte de Sprechgesang serrant le mot parlé au plus près. Le modernisme du procédé fait peur lors de la création en Bavière et, c’est finalement une version entièrement remaniée, beaucoup plus ‘wagnérienne’ d’esprit, qui est présentée sur la scène du Metropolitan Opera de New York en 1917 avec un succès dépassant de loin celui qu’y a remporté Puccini avec sa Fille du Far West quelques semaines plus tôt !...

Zurich offre actuellement l’occasion de redécouvrir la version revue pour la création américaine. C’est Armin Jordan qui aurait dû se charger de la préparation musicale de ce spectacle ; il a été remplacé par Ingo Metzmacher, un chef allemand désireux de redonner leur chance à ces partitions de la première moitié du 20e siècle que l’on a trop longuement négligées. Son approche est foisonnante : l’orchestre est d’une rutilante mobilité et, malgré le nombre élevé de musiciens dans la fosse, ne couvre jamais la voix de chanteurs. On découvre, sous sa direction, qu’un Humperdinck a su explorer des voies musicales différentes de celles d’un Richard Strauss et qui s’avèrent finalement non moins convaincantes car elles annoncent déjà la révolution musicale de l’entre deux guerres.
La distribution est dominée par Jonas Kaufmann en jeune Prince : la voix est d’un beau métal, plutôt sombre pour un ténor, ce qui convient idéalement à ce rôle qui, par ses exigences, s’inscrit dans la ligne directe des grands emplois wagnériens. Isabel Rey a plus de peine à s’imposer en jeune gardienne d’oies car sa voix a perdu sa souplesse autant que son éclat et marque une fâcheuse tendance à bouger excessivement. Olive Widmer dans le rôle du musicien fait étalage d’une voix superbe mais ne rend pas justice à la complexité du personnage par la faute d’un chant trop uniformément beau. Les comparses et le chœur sont excellents, alors que la mise en scène de Jens-Daniel Herzog déçoit par sa propension à enfermer l’opéra dans une imagerie moderne qui lasse autant par son inanité expressive que par sa laideur intrinsèque… (Dernières représentations : les 4, 7, 10 et 16 novembre)
photo: Königskinder, avec Isabel Rey, Jonas Kaufmann. Copyright Suzanne Schwiertz.






 
 
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