l'Humanité, 1er août 2006
Philippe Gut
Mozart: Requiem, Chorégies d’Orange, Juillet 2006
Folie, passion et bel canto au pied du mur d’Orange
Musique classique . Lucia di Lammermoor a succédé à un émouvant Requiem de Mozart sous la direction de Myung Whun Chung.
À voir, dans le cadre des Chorégies d’Orange, la représentation de Lucia di Lammermoor, on comprenait pourquoi l’opéra le plus célèbre de Donizetti n’a jamais quitté l’affiche d’aucun théâtre lyrique depuis sa création à Naples, en 1835. Il est apparu avec une évidence éclatante pour ce qu’il est : l’archétype de l’opéra romantique italien en même temps qu’un des derniers chefs-d’oeuvre du bel canto au XIXe siècle. Et l’on comprenait aussi pourquoi, à écouter Patrizia Ciofi dans le rôle-titre, toutes les sopranos (au XXe siècle, de Lily Pons à Joan Sutherland, les Scotto, Gruberova, Callas et autres Natalie Dessay) ont voulu s’emparer de ce personnage exigeant des qualités vocales exceptionnelles. Patrizia Ciofi est sans conteste « la » Lucia de ce début de XXIe siècle : soprano leggero, elle exprime avec une force rare et un rare talent de comédienne, avec - un raffinement vocal unique, toute la passion déchirée, la fragilité de l’héroïne romantique : face-à-face hallucinant dans la scène de la folie entre la diva et la flûtiste, se répondant mutuellement.

Outre l’excellente mezzo Marie-Nicole Lemieux (la suivante Alisa), « la » Ciofi, victime expiatoire, était cernée d’un trio masculin impressionnant à des degrés divers : le ténor Rolando Villazon, éclatant Edgardo, amoureux faussement trahi, le baryton Roberto Frontali, sombre Enrico, frère machiavélique de Lucia, Roberto Scandiuzzi, basse noble et très chantante (le chapelain Raimondo). Sans oublier Florian Laconi, terrible Arturo, époux éphémère de Lucia, et Christian Jean, Normanno, âme damnée d’Enrico. Tous étaient intelligemment mis en scène par Paul-Émile Fourny, qui, dans un décor de Poppi Ranchetti s’intégrant bien au mur du théâtre antique, avait centré l’action, avec beaucoup de naturel, au coeur du plateau entouré par un fouillis de ruines. Splendides costumes Renaissance - signés Véronique Bellone : sombres pour les hommes, draperies lourdes et riches pour les femmes du choeur, robe claire puis blanche pour Lucia. Très beau choeur coordonné par Giulio Magnanini. À la tête du Philharmonique de Nice, son chef, Marco Guidarini, à la direction flamboyante, tel un torero face au taureau, maîtrisant avec panache la pâte sonore de la belle partition de Donizetti. Une grande soirée de bel canto.

Auparavant, le théâtre antique d’Orange avait résonné d’un bien beau Requiem de Mozart, pour célébrer le 250e anniversaire de sa naissance, avec le Choeur et le Philharmonique de Radio-France, sous la direction du chef Myung Whun Chung, pour le ravissement des 7 000 mélomanes présents. Choeur rigoureux et fluide en dépit de sa masse imposante, orchestre d’un classicisme impeccable, sonnant avec la finesse d’une formation… « Mozart », et - solistes d’un haut niveau, au premier rang desquels la soprano, mozartienne dans l’âme, Soile Isokovski. À ses côtés, la chaleureuse alto Julia Gertseva, le jeune et brillant ténor Jonas Kaufmann et la somptueuse basse wagnérienne Albert Dohmen : un quatuor d’exception. Le maestro Chung offrit en bis (chose rare) un émouvant Ave verum Corpus, d’une grande délicatesse, avec des pianissimi ineffables : est-ce là le paradis ?






 
 
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