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Opéra International -
mars/avril 2005 |
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Monteverdi: L'incoronozione di Poppea, Zürich,
18 février 2005
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L'incoronozione di Poppea
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Opéra de Zürich |
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Nikolaus Harnoncourt est revenu à son point de
départ en acceptant de diriger une nouvelle production de L'incoronozione di
Poppea, plus de vingt-cinq ans après le formidable retentissement
international de son premier cycle Monteverdi monté ici-même avec la
collaboration de Jean-Pierre Ponnelle. Son approche n'a pas changé, mais la
sensualité et la suavité prennent maintenant le pas sur l'acuité des angles
et la rigueur rythmique recherchées par le passé. L'Orchestre La Scintilla,
bien que parfois en guerre avec la justesse de l'intonation du côté des
vents, tisse une broderie chatoyante dans une fosse surélevée pour
l'occasion afin de faciliter le dialogue avec les chanteurs. Moins directif
que par le passé, le chef accepte d'accorder le primat à la parole et à la
situation dramatique ; ce parti pris confère une souplesse inattendue mais
bienvenue à son approche, désormais ennemie de tout dogmatisme, jusque dans
l'acceptation de certaines ornementations parfois franchement audacieuses,
comme par exemple le rire des courtisans lors du couronnement ou les longs
bégaiements d'Ottavia dans les mesures initiales de son "Addio, Roma".
Les chanteurs, parfaitement à l'aise malgré la défection de dernière minute
de Vesselina Kasarova en Poppea, forment une troupe homogène dont chaque
élément se profile avec une impressionnante justesse de ton et un engagement
scénique non moins admirable. Juanita Lascarro (la Poppea de l'opéra de
Francfort) a sauvé in extremis la représentation en reprenant au pied levé
un rôle qu'elle habite jusque dans ses moindres replis ; sa présence sexy,
alliée à sa voix chaude quoique peu percutante dans l'aigu, rend
parfaitement crédible son ascension au trône. Le ténor allemand Jonas
Kaufmann est un Nerone impulsif, capable de pianissimi ensorcelants dans les
duos d'amour, mais dont les moyens vocaux se révèlent d'une étonnante
puissance dans la scène d'orgie avec Lucano, chanté ici avec verdeur par
Rudolf Schasching. Francesca Prowisionato, remplaçant Marjana Mijanovic
en Ottavia, fait avec son timbre profond une démonstration brillante de
chant baroque, alors que le Seneca de Laszlo Polgar réussit à être solennel
sans devenir pontifiant. Franco Fagioli utilise les ressources d'un timbre
de contre-ténor plutôt fragile pour souligner la veulerie et la lâcheté
d'Ottone, alors que Jean-Paul Fouchécourt en Arnalta crée la sensation avec
sa voix sûre, sensuelle et étale sur tout le registre. Sandra Trattnigg
brosse de Drusilla le portrait d'une femme fondamentalement vertueuse et
aimante. Excellente jusque dans les emplois les plus courts, la troupe
zurichoise transforme ces trois heures et demie de spectacle en un véritable
enchantement salué par les ovations d'un public conquis.
Jùrgen Flirnm, dans sa mise en scène, entend souligner le modernisme du
propos en transposant l'action en plein XXe siècle. Il a fait construire sur
le plateau tournant une maison qui semble avoir été dessinée par un élève
moyennement doué de Le Corbusier (décors : Annette Murschetz) ; les
personnages, en tenues vestimentaires de coupe contemporaine (costumes :
Heide Kastler), passent constamment d'un endroit à un autre, comme pour
souligner le caractère interchangeable des situations qui se construisent
autour de l'appât du gain et du désir sexuel aveugle. Une certaine froideur
se dégage de cette production baignant dans des éclairages crus, mais elle
sert finalement bien un livret où l'on chercherait en vain une trace de
grandeur humaine, et peut-être même de sincérité. |
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