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Anne-Béatrice MULLER
Verdi: Otello, Opéra Bastille, Paris, le 11/06/2004
Otello toutes voix dehors
Reprise d'Otello de Verdi dans la mise en scène d'Andrei Serban à l'Opéra Bastille, Paris.
Après une création houleuse en mars dernier, le nouvel Otello de Verdi présenté par l'Opéra de Paris dans la mise en scène d'Andrei Serban est déjà repris à Bastille. L'occasion de se délecter d'une distribution brillantissime ? avec la présence de Cristina Gallardo-Domas ? et d'un orchestre mené à la grâce par James Conlon.

Dernier opéra tragique de verdi, Otello n'est pas à proprement parler une oeuvre facile. Pourtant, s'il est considéré comme le véritable chef-d'oeuvre du compositeur, c'est qu'il intègre et résume un siècle d'expériences et de renouvellement musicaux, qui auront mené l'opéra italien de la tradition belcantiste et des formes figées du début du siècle à un style plus « germanique », un style vocal, écrit James Conlon, « unissant à la fois le chant et la déclamation ».

Dans la production de Bastille, c'est bel et bien la voix et la musique qui triomphent. Nous ne reviendrons pas sur la mise en scène d'Andrei Serban, déjà évoquée dans ces colonnes, qui à part quelques belles idées ? l'introduction, les immenses rideaux d'un tulle brumeux, à vrai dire déjà vus, mais assez esthétiques dans leur manipulation par les protagonistes du drame ? distille un pesant ennui. L'intérêt de la soirée réside d'abord dans un trio de voix assez exceptionnel, l'un des meilleurs que l'on puisse envisager à l'heure actuelle pour servir cette oeuvre.

On attendait beaucoup la soprano chilienne Cristina Gallardo-Domas, remplaçant pour cette reprise une Barbara Frittoli jugée un peu frêle au mois de mars. Sa Desdémone brune, racée, voire exotique, offre pour une fois un véritable répondant à la violence d'Otello. Voilà une héroïne verdienne qui ne meurt pas sans se battre, certes sidérée par l'invraisemblable déchaînement de son époux, mais nullement candidate au martyre. Et son timbre corsé et son large vibrato n'ont rien de fragile. Songe-t-on, d'ailleurs, qu'il avait forcément fallu à la Vénitienne un caractère certain pour vouloir épouser le Maure ? La Chanson du saule et l'Ave Maria sonnent ici comme les chants d'un combat qui, avant d'être livré, ne se donne jamais pour perdu. Une Desdémone à poigne, tout l'inverse de la belcantiste Frittoli.

Vladimir Galouzine, pour sa part, est Otello quant au physique, quant à la voix et quant au jeu. Sombre, puissant, aveugle, il fonce dans le mur à la manière d'un Minotaure enragé. Fait pour la guerre et né de la guerre, il ne peut que détruire intimement la paix dont le retour est pourtant acclamé au premier acte. Ayant jeté aux orties sa perruque de méchant d'opérette, Jean-Philippe Lafont n'a aucun mal à camper un Iago plus marionnettiste que véritablement nuisible, tant Otello se précipite droit dans ses filets. Toujours excellent, le Cassio du jeune Jonas Kaufmann, ténor à la voix claire et bien placée.

Mais l'autre véritable bonheur de la soirée vient d'un orchestre puissant et raffiné, violent et chatoyant, sous la magnifique et intelligente direction de James Conlon. Et c'est là sans doute que s'entend le mieux l'accomplissement verdien, dans des pages qui abordées ainsi annonceraient presque Mahler. C'est dire !






 
 
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