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Forum Opera |
Christian PETER |
Verdi: Otello, Opéra Bastille, Paris, 12 Mars 2004
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Beaucoup de bruit pour rien
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Pour sa dernière production à l'Opéra Bastille,
le choix d'Hugues Gall s'est porté sur Otello : choix judicieux qui permet
de réintégrer le chef-d'oeuvre de Verdi au sein du répertoire de l'Opéra de
Paris après la production de 1990, de sinistre mémoire (1). Allait-on
retrouver les fastes des représentations de 1976 où, sous la baguette d'un
Solti survolté, Placido Domingo, Margaret Price et Gabriel Bacquier
brûlaient littéralement les planches du Palais Garnier ? Disons-le d'emblée
: la réponse est non. Il y avait alors une équipe parfaitement soudée : des
interprètes de haut vol portés par un chef inspiré, qui évoluaient dans une
production efficace et cohérente, à défaut d'être inoubliable. Or,
aujourd'hui qu'avons-nous ?
Le rideau s'ouvre sur une tempête spectaculaire, grâce, notamment, aux beaux
éclairages de Joël Hourbeigt. Mais bien vite l'intérêt retombe et force est
de constater qu'Andrei Serban, irrémédiablement à court d'imagination, a
rejoint depuis longtemps la cohorte de ces metteurs en scène, jadis
inspirés, qui n'ont désormais plus rien à dire. Les quelques idées qu'il lui
reste n'ont qu'un intérêt limité quand elles ne tombent pas complètement à
plat. Des exemples ? Lorsqu'au premier acte, Iago demande à Roderigo à quoi
il pense, celui-ci répond "A me noyer" et s'asperge aussitôt le visage avec
le contenu de son verre. Passionnant. Au deux, Iago chante son credo, un
crâne à la main : ouf ! Nous voilà rassurés, Monsieur Serban, vous
connaissez votre Shakespeare sur le bout des doigts ! Au trois, Lodovico
arrive accompagné d'une cohorte bigarrée dans laquelle évoluent des
personnages en costumes de carnaval : merci de nous rappeler aussi finement
qu'il est ambassadeur de Venise. Et que dire de la mort de Desdémone qui
confine au Grand-Guignol, provoquant davantage l'hilarité que l'émotion
attendue ? L'idée n'était pourtant pas mauvaise de transformer ce crime
passionnel en sacrifice rituel, mais le résultat ! Otello, le visage
peinturluré, répand des plumes de corbeau autour du lit de son épouse avant
de la poignarder dans un bain de sang puis de l'achever en l'étouffant avec
un coussin. Mieux, nous aurons droit à quatre cadavres au lieu de deux sur
le plateau, puisque Iago tue également sa femme et que Roderigo, blessé,
vient mourir en scène.
L'action est située à une époque on ne peut plus indéterminée comme en
témoignent les tenues hétéroclites des protagonistes. Les robes somptueuses
de Desdémone, celle du trois notamment, évoquent davantage la Traviata
qu'une dame vénitienne du quinzième siècle, et au quatre, c'est à Lucia que
fera songer sa chemise de nuit ensanglantée.
Les décors, enfin, sont d'une affligeante banalité : quelques arcades que
l'on verra de profil ou de face selon les actes, avec, pour créer un climat
"méditerranéen", un palmier et la mer en arrière plan. Monsieur Mortier
pourra les recycler sans problème pour son futur Boccanegra, voire pour un
improbable Tancrède ! Que dire enfin de ces fauteuils très "british" dans
lesquels se prélasse Otello, d'un rouge qui jure avec la robe de Violetta,
pardon, de Desdemona ! Le tout donne la fâcheuse impression que metteur en
scène, décorateur et costumière ont travaillé chacun de leur côté sans se
concerter.
Tant d'aberrations ne sont guère rachetées par le plateau : l'Otello de
Galouzine a paru bien terne. On ne comprend pas bien quelle conception
Serban a de ce personnage. Il en fait une sorte de pantin veule, sans
envergure ni autorité, un impuissant dans tous les sens du terme dont
l'histoire, finalement, ne nous passionne guère. En outre, le chanteur a
paru en bien petite forme : dès son entrée, on frémit, le "Esultate" est
irrémédiablement fâché avec la justesse. Par la suite, le ténor se rattrape
un peu et son "Dio mi potevi scagliar" parvient même à émouvoir. Cependant
la voix demeure engorgée et l'italien approximatif. Nous sommes bien loin
déjà de son exceptionnel Hermann dans La Dame de Pique, sur la même scène en
1999.
Iago n'est pas l'emploi de Lafont qui en fait des tonnes dans le genre
"traître d'opérette" : comment croire un seul instant que ce clown grimaçant
et grotesque puisse susciter la confiance et les confidences de tant de gens
? Le rôle en outre dépasse ses moyens et le credo trop aigu pour lui est
aussi pénible à entendre que ridicule à voir !
Seule Barbara Frittoli parvient à tirer son épingle du jeu. La chanteuse est
ravissante et la séduction naturelle de son timbre capte durablement
l'attention malgré un vibrato excessif, perceptible dans le haut de la
tessiture, notamment lors des affrontements avec Otello qui l'obligent à
forcer sa voix. Fatigue passagère ou séquelles dues à la fréquentation de
rôles trop lourds pour ce soprano essentiellement lyrique ? L'avenir le
dira. C'est finalement dans l'air du saule et l'Ave Maria que son chant
finement nuancé emporte l'adhésion.
Des seconds rôles, tous corrects, émergent l'Emilia d'Elena Cassian,
mezzo-soprano au timbre ambré et homogène, et le beau Cassio de Jonas
Kaufmann qui arbore une voix des plus séduisantes. Tous deux faisaient là
des débuts prometteurs à l'Opéra.
Dans la fosse, James Conlon se surpasse et nous offre une direction
clinquante et dramatique, à défaut d'être toujours subtile. Enfin, saluons
la belle performance des choeurs dont le rôle est primordial dans cet
ouvrage. On sort tout de même bien déçu de ce spectacle confus et insipide
que l'on oubliera bien vite. Désolant. |
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