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ConcertoNet.com |
Manon Ardouin |
Verdi: Otello, Opéra Bastille, Paris 03/08/2004 - et 11, 14, 17, 20, 23,
26 et 30 mars, 11, 14, 17, 22, 25 et 28 juin et 1er et 6 juillet.
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Noir et blanc!
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Depuis près de dix ans, l’un des plus fameux
opéras de Verdi n’avait pas été monté sur la scène de l’Opéra de Paris et
cette absence est aujourd’hui comblée grâce à cette nouvelle production qui
est le fruit d’une alchimie parfaite entre une distribution qui ne mérite
que des éloges et une mise en scène inventive et esthétiquement belle.
Andrei Serban part de l’idée que “la cause de la tragédie d’Otello est en
lui-même” et que “Iago n’en est que le catalyseur”. En effet il insiste
fortement sur le fait qu’Otello se ruine tout seul et que, dans un certain
sens, il n’attendait que cette occasion pour se détruire et entraîner dans
sa chute son épouse. Le metteur en scène montre constamment un Otello
vacillant, au bord de l’évanouissement, du malaise cardiaque et qui ne sait
à aucun moment contrôler la situation ni même l’affronter: lorsque Desdémone
chante sa si magnifique complainte “a terra…” il est assis dans un fauteuil
et lui tourne littéralement le dos, se voulant insensible au désespoir de la
jeune femme. Andrei Serban fait preuve de beaucoup de simplicité et
d’humilité face à l’oeuvre de Verdi. Il nous a habitué à des couleurs assez
violentes, voire criardes, que ce soit dans ses productions lyriques (voir
Les Indes Galantes) ou théâtrales mais ici il joue essentiellement
sur le blanc, le rouge et le noir. Otello est souvent habillé de blanc sauf
dans l’acte final où c’est Desdémone qui revêt ses habits blancs nuptiaux et
Otello apparaît alors en noir ce qui est, visuellement, assez émouvant car
la pureté de la jeune femme - et son innocence - est encore mieux mise en
relief par rapport à la cruauté et la noirceur du héros. Toutefois on
remarquera quelques naïvetés notamment lorsqu’Otello se transforme en sorte
d’indien après s’être tracé des lignes sur le visage avec un maquillage
blanc ou quand il se transperce à la fin de l’opéra avec la pointe de sa
bannière. Enfin Andrei Serban n’hésite pas à revisiter le fameux meurtre de
Desdémone par étouffement car, dans sa lecture, la jeune femme est tout
d’abord poignardée par son mari et elle est “achevée” à coup d’oreillers,
avec un jeu de scène qui a fait sourire plus d’un spectateur, il faut bien
le reconnaître.
La scène n’est pas fixe et les panneaux blancs, simples, seulement stylisés,
symbolisent le palais et diverses habitations et ils bougent en fonction du
déroulement de l’action. Une grande importance est accordée aux rideaux et
autres voiles qui distinguent les différents lieux scéniques et qui parfois
isolent les personnages ou bien les séparent: lorsque Desdémone remercie le
choeur des femmes venues lui rendre hommage au second acte, elle se trouve
au fond de la scène, derrière le rideau, et Otello, déjà miné par la
jalousie, est au bord de la scène et tous deux essaient de se tendre la main
mais le rideau, représentation de leur future séparation, les en empêche.
Les costumes de Graciela Galan sont absolument somptueux, autant la robe
rouge de Desdémone que l’habit de cérémonie d’Otello. Un bien beau travail
et qui ravit l’oeil! Les jeux de lumière de Joël Houbeigt sont
particulièrement à propos dans la tempête où les éclairs se déchaînent et
créent une atmosphère assez terrifiante.
Vladimir Galouzine est l’un des Otellos les plus recherchés actuellement et
il promène ce personnage sur toutes les plus grandes scènes internationales.
La partition ne semble plus vraiment contenir de secrets pour lui mais une
certaine méforme l’empêche de donner le maximum de lui-même et il convient
de faire abstraction de ses attaques un peu basses et qui ne sont pas
toujours très propres. On le sent toujours un peu réservé et il a quelque
mal à se plonger entièrement dans son personnage. On se prend alors à rêver
d’un Placido Domingo qui éprouve peut-être plus de difficultés vocalement -
encore que - mais qui sait dire dans un vrai cri de douleur le fameux “Il
fazzoletto”. Ceci dit, il campe un Otello assez brillant et il a une voix
adéquate pour ce type de rôle. Si le début de ses phrases sont assez
incertains il trouve des accents magnifiques et émouvants dès qu’il a chanté
quelques notes notamment dans le premier duo avec Desdémone.
Barbara Frittoli a déjà beaucoup chanté le rôle de Desdémone et on se
souvient de l’ouverture de la saison 2001 de la Scala où elle affrontait le
dernier Otello de Placido Domingo. Apparue également un peu fatiguée (des
aigus pas toujours très stables), elle présente une très belle
interprétation de ce rôle en tentant de donner l’image d’une Desdémone
faible mais également déterminée à ne pas se laisser détruire entièrement
par Otello: la voix rauque dont elle se sert pour affirmer à son mari son
amour au moment de la cérémonie avec l’ambassadeur en est un exemple
frappant. Elle évolue également avec grande élégance sur scène et elle est
aidée en cela par les magnifiques costumes. La chanteuse privilégie les
pianissimo et les aigus légers plutôt les notes en force: dans le quatuor du
deuxième acte, elle se montre soumise à Otello également avec sa voix et
elle termine ses phrases par des notes très pures et très nobles.
Jean-Philippe Lafont est un Iago assez inattendu et remarquable. Son
personnage est assez proche de Scarpia et il sait distiller tranquillement
le venin pour toucher au plus près le coeur d’Otello. Andrei Serban prend le
parti d’en faire véritablement le maître du jeu qui tire les ficelles de
l’action et des attitudes des personnages et, en l’absence du Maure, Iago
boit l’eau d’Otello et s’assoit dans son fauteuil. Mais encore plus
clairement, à la fin de la confrontation entre l’ambassadeur, Otello et
Desdémone, le héros est complètement abattu, à terre, et Iago lui passe une
corde rouge autour du cou pour véritablement le dompter tandis qu’au loin on
entend “Viva Otello”. Le conseiller d’Otello est presque constamment sur
scène et il épie les duos entre son maître et Desdémone, pour bien souligner
qu’il est le responsable de la situation. Il joue également avec un crâne -
que l’on pourrait penser sorti d’une autre pièce de Shakespeare - ce qui
donne une dimension assez morbide à la scène. De nombreux détails sont
importants dans cette mise en scène pour Iago comme sa main gauche qui est
gantée alors que la droite ne l’est pas, comme s’il cherchait à cacher une
mauvaise blessure et un lourd passé. Après avoir déjà interprété brillamment
ce rôle à Toulouse et à Orange, le baryton français continue avec bonheur
l’exploration de ce rôle et sa conception est assez éloignée de celle de ses
collègues. Habituellement on voit des Iago cyniques mais Jean-Philippe
Lafont tente d’humaniser un peu cette figure de méchant et surtout de le
rendre faillible. Une telle présence scénique confond d’admiration car on
n’a pratiquement jamais l’impression qu’il joue un personnage mais qu’il est
le personnage à un moment précis. La voix est en excellente forme, superbe,
puissante et ronde et surtout excessivement malléable ce qui permet à
l’interprète de la moduler pour lui donner des couleurs vives ou
tranchantes. Dans la sorte d’hymne à la boisson du premier acte qu’il chante
avec Cassio, il différencie les divers “bevi” jusqu’à même utiliser une voix
assez nasillarde pour les derniers. Mais il trouve des accents majestueux
dans le fameux “Credo” où il apparaît dans toute la cruauté du personnage,
prêt à tout détruire pour assouvir sa vengeance. Une interprétation qui ne
peut que forcer l’admiration et qui hisse ce chanteur parmi les meilleurs
Iago connus.
Elena Cassian parvient, malgré un rôle court, à se faire remarquer et il
serait heureux de la réentendre dans une oeuvre mettant davantage en lumière
la beauté et la profondeur de sa voie. Elle est une Emilia plus que
convaincante et elle se montre très attachée à sa maîtresse jusqu’à la mort
puisqu’elle tombe sous les coups de Iago.
Jonas Kaufmann se montre excellent dans le rôle de Cassio et il déploie
une voix ample, stable et belle. Il est à l’aise autant scéniquement que
vocalement et il apporte une grande fraîcheur à ce personnage et parvient à
en faire un être sympathique et pas seulement le jeune homme ivre comme
c’est souvent le cas.
Les rôles secondaires sont parfaitement tenus à commencer par Montano chanté
par un Christophe Fel dont la stabilité et l’assurance de la voix ne sont
plus à prouver. Sergio Bertocchi est également un intéressant Roderigo et il
soutient parfaitement son jeu dans le conflit qui l’oppose à Cassio.
Pour sa dernière production à la tête de l’orchestre de l’Opéra de Paris,
James Conlon donne le meilleur de lui-même. Il insuffle une véritable
énergie à la partition dès les premières notes et à part quelques petites
baisses de tension perceptibles ça-et-là, il donne de très belles couleurs à
la musique de Verdi et de belles nuances Dans le duo entre Otello et
Desdémone au troisième acte, le Maure lui dit qu’il la prend pour la
courtisane-épouse d’Otello et à ce moment une montée reprend le thème
enjôleur de ce passage mais qui est brisée par la colère du héros: ici le
chef ralentit le tempo ce qui permet de montrer davantage la folie d’Otello
qui casse non seulement la musique mais aussi sa vie et celle de Desdémone.
Cette nouvelle production parisienne redonne ses lettres de noblesse à une
oeuvre majeure du répertoire italien et qui malheureusement a été assez
malmenée ces derniers années par des metteurs en scène prêts à chercher à
innover à outrance et qui finalement livraient un spectacle assez laid comme
cela a pu être le cas à Lyon l’année dernière. Ici on perçoit dans sa vérité
le drame et c’est en grande partie dû à des chanteurs-acteurs qui n’hésitent
pas à transcender leurs propres limites non pas en jouant les personnages
mais en étant Iago, Desdémone ou Otello. |
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