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Gérard MANNONI
Verdi: Otello, Opéra Bastille, Paris le 08/03/2004
Nouvel Otello, nouveau naufrage
Nouvelle production d'Otello de Verdi mise en scène par Andrei Serban à l'Opéra Bastille, Paris.
Serait-ce une oeuvre maudite à l'Opéra de Paris ? Après avoir donné de 1894 à 1966 la même production d'Otello, l'Opéra décidait en 1976 de faire enfin du neuf. Raté ! En 1990, la Bastille accueillait à son tour une nouvelle production. Encore raté ! Hugues Gall a donc attendu sa dernière saison pour donner à nouveau sa chance à Otello. Bis repetita, et un nouveau naufrage.

En 1976, malgré la présence sur scène de Placido Domingo, de Magaret Price et de Gabriel Bacquier, de Georg Solti dans la fosse, la production d'Otello que signait Terry Hands était loin de faire l'unanimité, tant pour son décor trop enfermé que pour la lecture donnée par le metteur en scène britannique. En 1990, Myung Whun Chung dirigeait une nouvelle production signée Petrika Ionesco et tout aussi mal accueillie. Inutile de rappeler en outre les incidents tragiques qui la marquèrent lors de la tournée à Séville.

Quatorze ans plus tard, même échec pour la production d'Andrei Serban. Disons le d'emblée : il ne s'agit pas de l'un de ces spectacles scandaleux tellement à la mode et propres à susciter les passions. L'approche de l'oeuvre initiée par Andrei Serban n'a rien de révolutionnaire, ni de surprenant, ni même de choquant. Malgré de séduisantes déclarations d'intentions, elle est simplement plate, sans véritable imagination, encombrée de mille détails inutiles et souvent ridicules, et sans aucune idée chargée d'une vraie signification. Elle a pour premier résultat d'engendrer un ennui assez massif, égayé seulement de quelques envies de rire, quand Otello saute sur un gros fauteuil rouge et se trouve enfin aussi grand que Desdémone, quand l'ambassadeur de Venise paraît costumé comme un militaire de la Grande Duchesse de Gerolstein
Arrêtons l'énumération !

On pardonnerait volontiers aux costumes de Graciela Galan de transformer le Iago de Jean-Philippe Lafont en traître de bande dessinée, Desdémone en Traviata et Cassio en lancier du Bengale, tout comme on pardonnerait les affreux fauteuils rouges qui hurlent dans la triste fadeur des décors guimauve où Peter Pabst plonge la tragédie après une introduction pourtant brillante et prometteuse, s'il se passait quelque chose dans le domaine de la direction d'acteurs. Or ici, tout est frileux, convenu, déjà vu, excepté le coup de poignard dont Otello frappe Desdémone avant de l'étouffer. Deux précautions valent mieux qu'une, sans doute. Une fois encore, on ne s'offusque guère. On baille, ce qui est pire. D'autant que la distribution vocale n'est guère revigorante.

Monochrome Otello et frêle Desdémone

Vladimir Galouzine a paru d'emblée bien fatigué. La voix engorgée, pas toujours juste, sans éclat, monochrome, il n'était que l'ombre de l'Otello qu'il peut parfois être et qu'il fut encore récemment, ne serait-ce que dans l'excellente production de Nicolas Joël au Capitole de Toulouse.

Barbara Frittoli, elle aussi parfois à la limite de la justesse, est une Desdémone bien frêle vocalement pour cette salle, même si le timbre est beau, le phrasé bien construit et l'interprétation sensible et nuancée. La Tebaldi, qui reste la référence pour ce rôle, Margaret Price, Kiri Te Kanawa aussi par exemple, avaient une matière vocale d'une autre nature. Est-ce vraiment introuvable aujourd'hui ? Prévue pour la reprise de la saison prochaine, Soile Isokoski devrait être plus adéquate dans cette acoustique ingrate dont s'accommodera certainement mieux aussi Cristina Gallardo-Domas en juin.

On a remarqué en revanche l'excellent Cassio de Jonas Kaufmann, voix vaillante, timbre bien projeté et émission très en place. Reste le cas du Iago de Jean-Philippe Lafont. On sait que cet éminent artiste a du mal à convaincre dans les rôles de méchants qui ne sont pas dans sa vraie nature. On l'aime mieux en Barak, en Falstaff, en Telramund, même en Wozzeck qu'en Scarpia ou en Iago. Il chante fort bien le rôle, mais accoutré comme il l'est ici, et avec la gestuelle presque caricaturale qu'on lui impose, il n'est pas vraiment à l'aise.

Choeurs et orchestre splendides

Reste fort heureusement la direction d'orchestre et la splendeur des choeurs. C'est d'elles que vient le réconfort d'une soirée qui serait sans cela bien frustrante. Avec une alternance de violences fulgurantes et d'intériorité arachnéenne, sachant aussi bien maîtriser l'ampleur des masses que mettre en relief les passages écrits comme de la musique de chambre, James Conlon tient la partition de bout en bout avec autorité, intelligence et efficacité. L'orchestre a des couleurs magnifiques, tout comme le choeur, en particulier dans la très belle scène d'introduction servie, et c'est la seule, par les astucieuses projections chères à Peter Pabst.

Si tout le spectacle avait cet impact ! Car même avec la direction de Conlon, la nef d'Otello n'a jamais vraiment atteint le rivage.






 
 
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