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ConcertoNet.com |
Didier van Moere |
Berlioz : La Damnation de Faust, Geneva Grand Théâtre 06/16/2003 - et
13, 18, 20, 22, 24 & 26 juin 2003
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Quand l’encens sent le soufre : la Damnation de Faust à Genève
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Il paraît que les bonnes âmes de Genève, le jour
de la première, scandalisées par tant de nudité, manifestèrent leur
réprobation horrifiée : que tout commence par Adam et Eve en tenue biblique,
cette dernière voluptueusement enlacée à un serpent fort phallique, passe
encore ; mais que l’on assiste en même temps à la crucifixion, c’en était
déjà trop. Que les follets dansent tout nus en prenant des poses sans
équivoque, cela dépassait tout. Et que tout se termine par l’ascension d’une
Marguerite tout aussi nue, même vue de dos, gravissant un escalier et
passant, avant d’atteindre le paradis, sous le porche d’une église, cela
imposait au moins, une fois rentré chez soi, un examen de conscience assorti
des pénitences adéquates.
Il est vrai que la production genevoise pose une fois de plus le problème de
la mise en scène d’opéra aujourd’hui, souvent autant alimentée par les
fantasmes ou les obsessions du metteur en scène que par une lecture
approfondie de la partition – à supposer qu’il sache la musique. Ceux qui
connaissent Olivier Py l’ont bien reconnu là, à travers cette sexualisation
très appuyée, ces scènes à connotation sado-masochiste, ce goût de la
dérision provocatrice et sulfureuse, notamment quand les étudiants de la
taverne d’Auerbach tiennent aussi bien du routier que de la drag-queen. On
peut évidemment s’offusquer, mais force est de convenir qu’il y a là un
travail passionnant, remarquable d’invention et de cohérence, qui n’est
peut-être pas si loin, finalement, de la vérité de l’œuvre.
Tout est placé sous le signe du passage et de l’inversion, entre le bien et
le mal en particulier. Tel est le sens de cette échelle omniprésente, de ce
pandémonium qui inverse, avant l’assomption de Marguerite, les rites de la
messe, de ces anges un peu diablotins fort portés sur les extases
solitaires. Dieu et Satan ont rarement été si proches. Dès le duo d’amour,
Marguerite est souillée. Faust le blasphémateur ressemble au Christ. Quand
il chante l’Invocation à la nature, face au public, derrière le chef, on
dirait un croisement de Jésus et de Prométhée. Cette Damnation s’inscrit
dans le carnavalesque médiéval revu par un romantisme qui ne peut s’empêcher
de racheter les pécheresses : Marguerite montant au paradis, c’est l’Eve du
début. Un romantisme qui projette aussi ses obsessions dans un fantastique
ténébreux : tout est noir, gris ; la toile de fond rappelle de très près les
dessins de Victor Hugo, avec des vols de créatures tenant de l’ange et de la
chauve-souris. Quant à l’enfant agitant un drapeau sur un char pendant le
chœur des étudiants et des soldats, ne descendrait-il pas de la Liberté
guidant le peuple de Delacroix et du Gavroche hugolien ?
L’exploitation de l’espace est remarquable, surtout dans sa hauteur et sa
profondeur (la chambre de Marguerite, qui se rétrécit vers le fond et tient
déjà de la prison). La chorégraphie est aussi très inventive, là où on
pouvait facilement tomber dans le ridicule, notamment dans les scènes de nu
ou de travestis. Ce qu’on pourrait reprocher à l’ensemble, c’est une
certaine surcharge dans les intentions au début, tout se concentrant ensuite
davantage sur le drame lui-même. Quelques effets faciles sentent également
le déjà vu : au moment de la Course à l’abîme, faire tourner un manège
miniature alors que le metteur en scène joue sur la verticalité semble
quelque peu gratuit.
La scène, en tout cas, attire plus que la fosse. Remplaçant Louis Langrée
initialement prévu, Patrick Davin n’a jamais réussi à aller au delà des
notes, peinant même parfois à trouver l’équilibre entre les pupitres. Dès
les premières mesures, la direction paraît scrupuleuse, mais laborieuse et
pesante ; elle ne trouvera jamais cet élan, cette flamme si typiquement
berlioziens, comme si le chef cherchait avant tout à éviter un accident. Il
n’a pourtant rien à craindre, ni des chœurs ni des solistes. Jonas
Kaufmann, malgré un timbre un peu nasal et une émission parfois légèrement
en arrière, est un beau Faust, très intériorisé, douloureux et torturé,
négociant fort bien les passages en demi-teintes, avec un « Merci doux
crépuscule » et une Invocation à la nature de grande allure. Katarina
Karnéus, à défaut d’être inoubliable, a pris l’exacte mesure du rôle de
Marguerite, à qui elle a conservé sa jeunesse blessée. Handicapé par une
pharyngite – qui le contraint à chanter une octave plus bas le mi aigu de
l’Air des roses - José van Dam a une telle technique qu’il peut sortir la
tête haute de la représentation, en remontrant à tous par la perfection de
son articulation et son intelligence du texte, impayable quand il chante la
Puce avec perruque et robe pailletée. |
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