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Opéra, mars 2014 |
Jean Cabourg |
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COUP DE COEUR - A écouter en boucle !
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Six
mois après un passionnant album Verdi, Jonas Kaufmann poursuit son aventure
avec Sony Classical et livre une interprétation captivante de Winterreise.
Un artiste hors normes et hors du temps, pour le cycle le plus halluciné de
toute l'histoire du lied.
L'errance de l'amoureux projetant dans la
nuit d'un hiver fantasmé les images de sa désespérance, Jonas Kaufmann et
son inséparable Helmut Deutsch l'ont souvent incarnée en public. Dans le
silence monacal de l'August Everding Saal de Grunwald, près de Munich, ils
en peaufinent une version qui pourrait bien éclipser la plupart des autres.
Le retour à la tessiture originelle de ténor avait été tenté par
l'inclassable Jon Vickers, et mis en exergue, à la suite de Peter Pears, par
un Mark Padmore ou un lan Bostridge. Le très inspiré Christoph Prégardien en
offrait, jusqu'à présent, la meilleure approche récente, avec Andreas Staier
pour partenaire (Teldec/ Warner Classics).
Notre wagnérien extatique
avait pu être jugé un rien trop sombre et véhément dans son interprétation
de Die schöne Müllerin (Decca). Il se coule à présent dans les harmonies de
Winterreise en jouant du clair-obscur de son timbre, de son médium voilé,
soudain porté à l'incandescence vers un aigu irradiant. Sans que jamais le
mot ou les aspérités de l'allemand ne soient surlignés à la manière d'un
Dietrich Fischer-Dieskau, sans davantage exacerber la vocalité au détriment
d'un discours infiniment concentré.
À la divine lenteur narcissique
souvent de mise dans ce cycle (les 82 minutes de Vickers I) a été préférée
l'inexorable marche du destin. Une marche qui, dès le Gute Nacht initial,
exempt de pathos, se donne comme mouvement du Voyageur, plutôt qu'elle ne se
complaît dans l'introspection. Barytonal (comme l'étaient d'ailleurs les
ténors du temps de Schubert, sinon Schubert lui-même), Kaufmann allège
ensuite de manière suprême une voix dont la virilité, aux antipodes de ce
que le grand pianiste Artur Schnabel qualifiait de «Lanolinsänger»
(«chanteur lanoline», en référence à la graisse de laine), sait se plier au
piquant de Die Wetterfahne, au fol espoir illuminant Die Post, puis à la
mezza voce visionnaire de Täuschung ou Der Leiermann.
Le compositeur
d'opéra que fut Schubert, trop tôt fauché en pleine ascension, n'aurait
certainement pas blâmé notre ténor de libérer soudain ses accents
wagnériens. Au moment de l'imprécation à la rivière glacée, sous laquelle
bouillonne le torrent de son amour (Auf dem Flusse), ou encore, avec plus de
véhémence, dans le lied suivant (Rückblick), évoquant la fuite du désespéré
aux semelles de feu.
Pierre d'achoppement des vingt-quatre lieder, le
(trop ?) célèbre Der Lindenbaum évite l'alanguissement comme la mièvrerie,
porté par un piano tout de délicatesse. Plus apollinien que nietzschéen,
Helmut Deutsch, mentor de Kaufmann, attentif aux desiderata de son fougueux
élève, en est le contrepoint classique, rythmicien impeccable, d'une suprême
élégance (Rast, Die Krähe, Täuschung) contrastant avec l'énergie déployée
(Mut !). Ce Winterreise, à la fois très engagé et personnel, mais attentif
aux leçons de l'autographe (mis au net en I 827) ignorées par l'Urtext
couramment utilisé, est à écouter en boucle !
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