Télérama
Gilles Macassar
 
Die Walküre
Mariinsky Orchestra, direction : Valery Gergiev
 
Palette fauve, orchestre volcanique, climat oppressant sans précédent... cette Walkyrie somptueusement captée annonce une Tétralogie infernale.

Commémorant le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, l'année 2013 ouvre le bal des prétendants discographiques — âpre tournoi auprès duquel l'épique Chevauchée des Walkyries se réduit à un manège forain. Si l'intégrale en cours de Marek Janowski et de son Orchestre de la Radio de Berlin a pris une longueur d'avance (1) , elle pourrait bien être coiffée sur la ligne d'arrivée par la Tétralogie qu'entreprennent, lance au clair, Valery Gergiev et ses troupes du Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Paru en 2010, leur enregistrement de Parsifal annonçait déjà la couleur orchestrale : des tons francs et crus, loin des brumes mystiques et de l'estompe diluée de la tradition (2) .

Pour La Walkyrie, premier jalon d'une Tétralogie à venir, Valery Gergiev travaille la même palette fauve en pleine pâte, au couteau, exaltant le rougeoiement des cuivres, fonçant le grisé des cordes graves. L'orage qui ouvre le premier acte donne le ton : auprès de cette furieuse averse de grêlons, zébrée d'éclairs, l'orage beethovénien de la Pastorale n'est qu'un grain printanier, du crachin breton. Plus sourd dans les moments de lyrisme, plus accablant dans les instants de déflagrations guerrières, ce climat oppressant de violence semble sans précédent dans les annales discographiques de l'oeuvre. Le Walhalla, l'Olympe tétralogique, prend l'allure fatidique d'un Kremlin, Wotan cède aux accès de dépit d'un tsar outragé ; une noirceur dostoïevskienne — celle de Crime et châtiment — empoisonne les conflits du dieu des dieux avec son épouse légitime, Fricka, avec sa fille préférée, Brünnhilde ; tout le deuxième acte en est submergé. Paru il y a un demi-siècle, La Walkyrie enregistré par Herbert von Karajan avait fait sensation, par l'intimisme schubertien du chant, les tons pastel de l'orchestre. Somptueusement captée, celle de Valery Gergiev pourrait bien à son tour créer l'événement, mais avec des atouts opposés. Sa réussite tient aussi à la qualité de la distribution. Dans un marché de voix wagnériennes plus florissant qu'il y a vingt ans, Valery Gergiev a préempté le meilleur. Notamment pour les rôles masculins. C'est au Siegmund werthérien de Jonas Kaufmann que revient la palme. Depuis le Canadien Jon Vickers (dans l'enregistrement de Karajan), on n'avait plus entendu l'« Hymne au printemps » chanté avec un phrasé aussi ample et voluptueux, des pianissimi aussi tendres. De quoi pousser, comme Brünnhilde et ses huit soeurs, des « hojotoho » victorieux.





 
 






 
 
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