Classiquenews, 29 septembre 2010
Tristan Montségur
Jonas Kaufmann: Verismo (2010)
Album superlatif! Chez Kaufmann, c'est la finesse et le raffinement désormais distinctifs de sa palette dynamique qui saisissent: notez bien l'art du faiseur de nuances: un comble pour le chant vériste plus familier de décibels que de ciselure. Le Schubertien apporte une intelligence du verbe qui illumine chacune de ses incarnations, selon les épisodes dramatiques ici choisis.

On a connu et aimé Jonas Kaufmann romantique (romantic arias, 2008), Kaufmann ambassadeur de la Sehnsucht (Sehnsucht: Mozart, Schubert, wagner, 2008); Kaufmann, diseur enamouré solitaire de La Belle Meunière, modèle féminin inaccessible (La Belle Meunière, Die Schöne Müllerin, 2009): voici un autre ténor, tout aussi convaincant par sa subtilité irradiante, un talent fait de puissance et d'intériorité qui confirme la place du chanteur parmi les plus grands actuels: vériste, Jonas Kaufmann l'est absolument dans cette sélection d'airs lyriques emprunté à Puccini,  Zandonai, Ponchielli, Giordano, Boito... avec en partenaire de grand luxe (mais à la hauteur du tempérament viril concerné), l'épatante Eva-Maria Westbrœk (Maddalena dans Andrea Chénier de Giordano)...

Chez Kaufmann, c'est la finesse et le raffinement désormais distinctifs de sa palette dynamique qui saisissent: notez bien l'art du faiseur de nuances: un comble pour le chant vériste plus familier de décibels que de ciselure. Le Schubertien apporte une intelligence du verbe qui illumine chacune de ses incarnations, selon les épisodes dramatiques ici choisis. Son Maurizio (Adriana Lecouvreur de Cilea) respire le tourment d'une âme transie, terrassée mais avec combien de finesse psychologique: torrent ardent d'un désir insatisfait (L'anima ho stanca...), puis tendresse irrépressible tissée de pardon et d'un amour admiratif intact (La dolcissima effigie sorridente...). La palette des sentiments est sidérante de justesse et de vérité. Et quel tact! Aucun appui ni dérapage. Le style et la diction sont impeccables.

Et quelle innocence solaire et tout autant blessée pour Federico de L'Arlesiana de Cilea: pureté pastorale d'un esprit éprouvé, démuni, impuissant, d'une incandescence vocale irrésistible: il y a tout dans ce chant bouleversant: la détresse de Florestan, les brûlures de Canio (chanté peu après), mais cette élégance vraie, ni posée ni calculée. L'art du tragédien dépasse tous ses contemporains. Son Turiddu est du même métal chauffé à blanc: d'une intensité tragique qui atteint au sublime par une puissance des moyens canalisés par un sens continu du texte et cette finesse d'intonation dont nous aimons l'intelligence continue.

Ecoutez de même son Ponchielli: là où beaucoup sinon tous les ténors trompettant en impose par leur surpuissance surexpressive, Kaufmann tisse un chant d'abord intérieur, plein d'une ivresse et d'un vertige intime qui rappelle l'un de ses ainés, Jon Vickers évidemment. Cielo e mar!  précise le profil d'un Enzo en plein délire panthéiste, traversé par une transe amoureuse d'un irrépressible mouvement de l'âme, schillérien: il a l'étoffe de chanter Rodolfo (celui de Luisa Miller de Verdi: ténor juvénile, ardent, plein d'un idéal libertaire et entier non encore perverti). Murmuré, réconcilié, et d'une généreuse plénitude Ombra di nube de Refice, énoncé comme une caresse nocturne (quelles superbes couleurs dans ce chant tendre et désespéré). Récital magistral.

 
 






 
 
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