Diapason, Oct 2009
Emmanuel Dupuy
JONAS KAUFMANN
Airs et extraits d’opéras de Mozart (La Flûte enchantée), Beethoven (Fidelio), Schubert (Fierrabras, Alfonso und Estrella), Wagner (Lohengrin, La Walkyrie, Parsifal).
Choeur du Teatro Regio de Parme, Mahler Chamber Orchestra, Claudio Abbado.
TECHNIQUE: 8/10
Orchestre transparent, bien défini et avec du relief.
Voix intégrées très naturellement.
 
A vouons-le le premier récital de Jonas Kaufmann publié par Decca (« Romantic arias ») avait presque divisé les esprits à Diapason. Des couleurs si sombres, une nature si peu latine, pour Rodolfo, Alfredo ou le Duc de Mantoue, voilà qui pouvait dérouter les plus fervents admirateurs. Mais il avait suffi d’un extrait des Maîtres chanteurs — absolue évidence — pour lever les dernières hésitations Diapason d’or. Pour ce deuxième opus, le doute ne nous effleurera pas un seul instant. Car d’état civil, mais surtout de langue, de culture, de technique ou d’émission, l’artiste est allemand, né pour Florestan, Wagner et n’en doutons pas Richard Strauss (quel Empereur de La Femme sans ombre ferait-il !).

Un Tamino si mâle pourra certes surprendre. Le trille est un rien paresseux, et toute la confrontation avec l’Orateur à deux doigts du déséquilibre tant le très loyal Michael Volle paraît d’un instant à l’autre manquer d’étoffe face à une si forte présence. Mais les facultés d’allégement de ce ténor d’airain, sa tendresse, sa précision, le qualifient autant pour Mozart que pour les créatures wagnériennes. C’est Rosvaenge ou Anders avec la carcasse d’un Vickers, Wunderlich avec la puissance d’un Lorenz. On ne sait trop, en fait, car le lyrisme et la pure beauté du timbre ne se départissent jamais d’une attitude et d’un format héroïques, jusque dans cet art du dire souverain qui roule sans complexe les consonnes et projette loin les voyelles. Lohengrin, alors, tombe sans un pli sur ces solides épaules, «In Fernen Land » et « Mein Lieber Schwann» passant de la plus douce caresse à la force sidérante d’un adieu en forme d’imprécation. Cette aptitude au don de soi prédisposait l’artiste à Parsifal: «Amfortas die Wunde» et toute la conclusion de l’ouvrage sont proprement bouleversants de plénitude, de souplesse, de douleur contenue et de générosité solaire (jetons un voile sur l’unique mais pénible réplique d’une trémulante Kundry). Hélas (pour nous), le wagnérien se fait encore désirer: de Siegmund (un rôle qu’il n’a pas encore abordé à la scène, contrairement aux deux précédents) il ne nous donne pour l’heure qu’un vibrant « Winterstürme », tout en chair et poésie, évitant «Ein Schwert verhiess mir der Vater »ou « Siegmund heiss ich » — on les attend de pied ferme !

La corde sensible se tend encore pour deux pages schubertiennes extraites de Fierrabras et d’Alfonso undEstrella, qui raviront les amateurs de raretés. Plus prévisible mais non moins éloquent, cet air de Florestan où le sentiment semble, là aussi, n’avoir jamais été varié avec autant de sincérité et de naturel: on dirait que le terme Sehnsucht (titre de l’album dans les pays de langue allemande), cet état d’âme si particulier du romantisme germanique, a été inventé pour Kaufmann. Et pour Abbado qui le suit — ou le précède — dans la moindre de ses pérégrinations intérieures. En termes de pâte, de cohésion, le Mahler Chamber Orchestra n’est ni Vienne ni Bayreuth, mais il a bien d’autres qualités et tous ses pupitres se surpassent sous cette baguette qui proclame à chaque mesure: «que la lumière soit. »


 
 






 
 
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