Classica, octobre 2015
Jérémie Rousseau
 
Jonas Kaufmann - L'étoffe des héros
Le grand ténor poursuit son aventure discographique. Dans « sa » nouvelle intégrale d'Aida, il réunit tous les superlatifs à travers un Radamès tourmenté et intérieur. Dans son récital Puccini, il recrée des héros à la mesure de sa voix.
 
CD CHOC / PLAGE 1
Aida ne manque pas de références : Callas, Tebaldi, Price, Caballé en ont signé des incarnations majeures, souvent bien entourées côté héros (Bergonzi, Vickers, Domingo), antihéros (le gratin des barytons et des mezzos Verdi) et chefs (Karajan, Solti, Muti...). S'il ne fait aucun doute que cette nouvelle intégrale a été pensée autour de Jonas Kaufmann, ténor star de son époque, rappelons qu'un Radamès, si pénétrant, si attentif au texte, si électrique soit-il (et notre héros réunit ces superlatifs), un Radamès disions-nous, ne fait pas, seul, le prix d'une Aida. Ici, le geste souverain d'Antonio Pappano pose d'emblée le climat. Délaissant ses petites foucades, le voici qui électrise la phrase verdienne, actionne chaque levier du drame avec un souci constant de fluidité et d'équilibre entre tableaux intimes et scènes de triomphe. Mais surtout, mis à part le timbre écorché d'Erwin Schott, la distribution s'impose par son homogénéité, renouant même, dans le cas du duo principal, avec un âge d'or révolu : le « Celeste Aida » de Kaufmann, perdu dans un soupir final, donne le ton, celui d'un héros tourmenté, plus intérieur qu'à l'accoutumée, héros néanmoins, capitaine de guerre aux aigus d'airain. En face, comme lové dans ce timbre automnal, celui, miel et or, d'Anja Harteros délivre un chant altier, des mots fécondés par un souffle et une hauteur de vue prodigieux. Acte du Nil et duo ultime sont à marquer d'une pierre blanche. De sa voix cuivrée, Ludovic Tézier brosse un Amonasro qui sait fendre l'armure, à l'inverse d'Ekaterina Semenchuk, vraie tigresse comme doit l'être Amneris, avec un mordant ravageur dont le feu dévore notre Aïda/Harteros, dans une confrontation qui restera le sommet de l'intégrale. Voici donc, dans la riche discographie verdienne, une Aida avec laquelle il faudra désormais compter.

L'album Puccini
Enregistré quelques mois plus tôt, à nouveau autour de Pappano et des forces de Santa Cecilia, cette fois moins affûtées, le récital Puccini avance sur un terrain plus connu. On le sait, au disque comme à la scène, les Puccini du ténor allemand (son Cavaradossi est un classique, son Des Grieux en passe de le devenir) ne se gorgent pas seulement du sex-appeal vocal indispensable à ce répertoire mais savent électrifier par leur mélange très dosé de sensualité animale et d'exploration quasi psychanalytique des personnages —l'album Verismo (Decca, 2010) l'exposait superbement. La leçon est semblable ici, mais quelques effets sont toutefois plus attendus, avec une spontanéité un peu estompée et une pointe de fatigue taclant çà et là le registre aigu. Les scènes d'Edgar, du Villi, de Manon Lescaut l'emportent haut la main, loin devant l'inutile romance de Rinuccio, hors propos pour cette voix sombre.
Dans Il Tabarro, La Fanciulla del West, et même « Nessun Dorma » (le phrasé à fondre de « Tu pure, O Principessa » !), on ne tarira pas d'éloges devant le génie recréateur de l'artiste, même si cette succession de vignettes finit par frustrer. Mais le bonus de l'édition digipack, des extraits en DVD de Manon Lescaut (Covent Garden, 2014) et de La Fanciulla del West avec Nina Stemme (Vienne, 2013) — à paraître dans la foulée —effaceront toute réserve.






 
 






 
 
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