Splendeur.
Le chant organique de Puccini, avec son vertige d'humeurs volatiles et son
mélange inimitable d'héroïsme et de volupté, trouve ici un interprète
d'anthologie. Car Kaufmann sait moduler son timbre dense, marbre noir aux
abîmes intériorisés, en des nuances feulées ou de soie froissée, tout comme
il sait paraître inépuisable dans le déchirement glorieux. Le portrait de
Des Grieux, en quatre extraits de Manon Lescaut - l'album a le soin d'offrir
des scènes entières en plus des airs isolés -, est de ce point de vue
exemplaire : l'élan enthousiaste du coup de foudre se délite en une torture
peu à peu acceptée, le chant altier se mue en cri de détresse ; le temps a
passé et creusé les perspectives, et Kaufmann réussit à rendre vocalement
cette idée purement mentale.
Bien sûr, on avouera que sa voix mâle
et ombrageuse n'a ni la juvénilité de Rinuccio (Gianni Schicchi), ni le
charme piquant de Ruggero (La rondine), ni complètement le côté fantasque de
Rodolfo (La Bohème) ; manque aussi à son grain chargé de tempêtes orageuses
un rayon de clair soleil pour exprimer d'emblée la joie ou le bonheur - «
Donna non vidi mai », « O soave fanciulla » et même « Recondita armonia »
sont ainsi patinés de gravité, plutôt stases romantiques à la Friedrich que
vivaces félicités de l'instant. Certes aussi, on aurait rêvé autre
partenaire au long cours que Kristine Opolais qui, sans démériter en Manon
Lescaut puis Mimì, offre ici un timbre peu phonogénique et un vibrato
parfois relâché.
Détails face aux personnages complets qui se
déploient en un art admirable du chant et du mot : Johnson complexe,
farouche et fragile (La fanciulla del West) ; Luigi âpre (Il tabarro),
Roberto pris au piège (des Villi), Edgar halluciné. Et jusqu'au Calaf
glorieux, superlatif, qui clôt l'album sur Turandot - album très
intelligemment structuré, chronologique à l'exception des Villi et d'Edgar
enchâssés entre Manon Lescaut et La Bohème, ce qui permet d'en mieux sentir
la filiation.
Un indispensable. Que personne ne dorme - que chacun
écoute.
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