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Altamusica, 11 déc 2014 |
Yannick MILLON |
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Vers la grâce
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Le
voilà donc, ce Parsifal dont la diffusion en direct dans les
cinémas Gaumont-Pathé avait laissé présager un magnifique DVD
lyrique, le Metropolitan Opera de New York publiant toujours in
fine sur support numérique ses soirées proposées sur grand
écran.
Sans s’embarrasser d’ailleurs de retouches, la
captation étant rigoureusement celle de la diffusion en direct,
avec les commentaires d’introduction de la basse profonde Eric
Owens, et jusqu’au Backstage censé occuper les spectateurs au
cinéma pendant les entractes, manière de populariser, de
désacraliser le monde de l’opéra en invitant le spectateur dans
les coulisses, proposé en bonus.
Les images de François
Girard, déjà vues à Lyon avant de prendre le chemin des salles
obscures, sont toujours aussi évocatrices et justes, tant dans
les variations météorologiques que dans l’odyssée cosmique
proposée en contrepoint de cette quête vers la pureté. Et même
si l’on ne raffole pas de cette caméra tournante sur le plateau,
la réalisation filme toujours au bon endroit, restituant
fidèlement l’atmosphère visuelle de ce spectacle très réussi,
sur le lequel nous nous sommes déjà exprimés tant à l’Opéra
Nouvel qu’au cinéma.
Notre seule déception vient de la
qualité du master, assez inférieure aux standards HD du Blu-ray
de plus en plus répandus. Dès le générique, un manque de piqué
de l’image saute aux yeux, et l’on sera tout du long déçu par le
fourmillement des teintes sombres (très nombreuses), plutôt
dignes d’un bon DVD. Dommage, car la fête eût été totale avec de
la véritable haute-définition.
Ce qui ne nous empêchera
pas de louer cette production musicalement exemplaire, à la
titulaire près de Kundry, tenue par une Katarina Dalayman une
nouvelle fois sans séduction, grande voix au timbre sec, sans
moirures, et surtout sans l’ambiguïté folle du personnage,
malgré des tentatives de moduler la ligne butant sur un matériau
pas assez soigné.
La prise de son la montre pourtant
nettement moins à son désavantage qu’au cinéma, où l’atmosphère
sonore puissante accentuait les défauts d’une émission sans
raffinement – la fin du II, pas loin du cri. Mais c’est bien la
seule réserve que l’on puisse formuler tant le Met (avec
peut-être Covent Garden) s’avère aujourd’hui sans concurrence
pour bien distribuer ce type d’ouvrage.
Jonas Kaufmann
trouve dans le rôle-titre l’un de ses accomplissements majeurs,
émission typiquement wagnérienne, ténor sombre à l’aigu
éclatant, monument de musicalité, jamais avare de nuances et
d’une intime compréhension de la langue qui valent un monologue
du II et un récit final crucifiants. L’autre sommet de la
montagne gravie de l’autre côté par son total opposé, le chaste
fol immatériel de Klaus Florian Vogt.
En Gurnemanz, René
Pape peut exposer la plus somptueuse voix de basse noble
germanique de notre temps, couleur idoine, large déclamation
sans pesanteur, justes inflexions de vieillard autoritaire et
dogmatique mais dont la bonté affleure sans cesse. Et avec des
moyens colossaux, jamais en péril.
Révélation de la
production, Peter Mattei, dont c’étaient les débuts au Met,
campe le meilleur Amfortas qu’on ait entendu depuis longtemps,
exact timbre de roi maudit, constamment humain, vibrato ardent,
ligne de chant jamais statique, faisant vivre la moindre note de
l’intérieur, jamais un son mécanique. Un monument de douleur
rentrée loin des Wotan égarés dans le rôle.
Cerise sur le
gâteau, le Klingsor d’Evgeny Nikitin, au timbre en parfait
double noir de Mattei, mordant, vengeur, laissant éclater ses
plus funestes frustrations, complète la plus irréprochable
distribution masculine qu’on puisse imaginer à l'heure actuelle.
En fosse, avec une prise de son non forcée pour le cinéma,
la direction fervente de Daniele Gatti, qui aime à dire que
Jésus est le personnage historique le plus cher à son cœur,
trouve le ton juste de cette partition initiatique dont il
distille l’infinie tristesse et le long chemin d’embûches pour
parvenir à la grâce avec une rondeur, une pâte sonore à la fois
claire et ouatée, quasi impressionniste, une céleste mais jamais
ennuyeuse lenteur qui accouchent d’un véritable camaïeu de
nuances, en parfait accord avec des chœurs somptueux.
Impossible donc de ne pas délivrer la récompense suprême à un
produit fini servant si glorieusement l’ultime chef-d’œuvre
wagnérien. Et tant pis pour la Kundry et la qualité d’image en
deçà des attentes. Coup de cœur !
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