Nous
tenons là, vraisemblablement, l’une des captations vidéo
majeures de l’ultime ouvrage du magicien de Bayreuth. Et
peut-être bien le sommet de la vidéographie de cet opéra. Tout
est ici présent pour justifier cet enthousiasme : production,
distribution, direction. Nous le savons bien, il est difficile
de réunir ces trois éléments à un même niveau d’exception. C’est
pourtant ce que vient de réussir le célèbre temple new yorkais
de l’art lyrique, plus que jamais sur la plus haute marche du
podium opératique mondial.
Ce 2 mars 2013 est donc à
marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de ce théâtre. Ce
soir-là une conjugaison miraculeuse de talents est venue rendre
hommage à cette cérémonie lyrico-mystique qui fut un temps
l’exclusivité de Bayreuth. Magnifiée par une captation vidéo
d’une formidable acuité, cette production, créée à Lyon en avril
2012, prend sur la gigantesque scène du Met toute son ampleur.
Loin de tout braquage intello-métaphysique, le travail de
François Girard (metteur en scène) explicite le cheminement de
chacun des protagonistes d’une manière formidablement limpide.
Seule option étrangère à l’œuvre, la présence d’un groupe de
femmes toutes de noir habillées et voilées, occupant, dès le
Prélude du 1er acte une partie de la scène, séparées des hommes,
chemise blanche et pantalon noir, par une crevasse
infranchissable…
C’est pourtant en donnant la main à
Kundry au dernier acte que Parsifal lui permettra de franchir
cet obstacle, réunissant de facto l’ensemble de l’Humanité. Les
projections de Peter Flaherty, faites de nuées et de planètes,
situent bien l’action dans ce lieu sacré dédié au culte de Dieu
et du Sauveur. Nous sommes ailleurs. Point de repères
sécurisants ici, tout est dans cette musique des sphères et un
livret d’une teneur spirituelle sans équivoque. Croyant ou pas,
il est impossible à quelque personne sensible de réfréner une
larme, voire plus, tout au long de ce spectacle.
Jonas Kaufmann, tel un archange
Cette émotion
est d’autant plus prégnante que la direction d’acteurs, vue au
plus près par le filtre de la caméra, est impérieuse et d’une
intensité sidérante. N’hésitant pas à s’exposer torse nu pendant
une grande partie de la soirée, Jonas Kaufmann incarne Parsifal
comme il sera difficile dorénavant de l’imaginer autrement.
Tragédien habité, le chanteur allemand déploie ici un ténor
d’une force incroyable dans le second acte, réservant pour le
final des notes suspendues dans les limbes d’un autre monde,
celui dont nul mortel n'approche (Lohengrin, 3ème acte). La
performance est tout juste incroyable. Tout comme son Werther,
il marque au fer rouge ce rôle. Ne lui cédant en rien, Peter
Mattei, autre tragédien bouleversant, incarne un Amfortas
suicidaire au baryton généreux et conduit admirablement. René
Pape, sans peut-être rappeler les grandes basses wagnériennes du
passé qui ont illustré Gurnemanz, donne le meilleur de lui-même
dans un haut médium et un aigu d’une puissance souveraine
soutenus par un souffle d’une belle ampleur. Katarina Dalayman,
somptueuse Brünnhilde, se hasarde dans le rôle de falcon de
Kundry avec, évidemment, des aigus glorieux dans le second acte,
sans cependant la noirceur de timbre qui convient à ce
personnage ambigu. Evgeny Nikitin ne fait qu’une bouchée de
Klingsor, le parant d’un impact vocal d’airain. Jusqu’aux plus
petits rôles, le Met aligne l’excellence. Il en est ainsi
également des superbes phalanges chorales, mises fortement à
contribution scéniquement.
La direction de Daniele Gatti
fait débat. Bien sûr, il serait vain d’ignorer sa lenteur.
Certains teutons ont fait pire en termes de timing ! Tout
l’intérêt de cette option est, d’une part, de respirer
profondément avec l’œuvre et les évènements, voire avec le
public soumis ici à des chocs visuels et émotionnels sans
précédents, d’autre part, de « clarifier » cette musique en la
rendant d’une merveilleuse transparence sonore à mille lieux
d’une lourdeur dont certain pays s’est fait une spécialité. Bien
entendu cela n'enlève rien au prisme complexe et d’une richesse
infinie de cette partition dont tout le dynamisme est
formidablement rendu. Un DVD indispensable !
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