Opéra, mars 2010
Rémy Stricker
SCHUBERT DIE SCHÖNE MÜLLERIN
 
 
Est-on jamais «forcément sublime», comme l’affirmait avec un aplomb plutôt totalitaire, il y a quelque temps et jusque sur les murs du métro, la publicité d’une cantatrice célèbre ? Jonas Kaufmann a suscité ces derniers temps un concert de louanges dans ses prestations d’opéra. Et vrai que, depuis Jon Vickers, on n’avait plus entendu un ténor aussi héroïque apportant sur la scène lyrique toutes les subtilités de l’interprétation du lied ou de la mélodie. Cela ne cesse en effet d’émerveiller; à l’heure où l’opéra célèbre plus d’athlètes que de musiciennes et musiciens sensibles et émouvants.

D’autre part,Jonas Kaufmann dit justement dans l’entretien qui accompagne le disque, qu’il a voulu enregistrer Die Schöne Müllerin ans, pour lui conserver (dans le ton original, à la différence des barytons qui s’y produisent le plus souvent) la jeunesse du héros, ce qu’il redoute de ne plus réussir plustard. Cela aurait pu être le cas pour la belle version de Fritz Wunderlich (DG, 1966), il avait 36 ans et ne vécut pas plus longtemps. Mais certainement pas pour l’inoubliable enregistrement d’Ernst Haefliger (Claves) qui avait 64 ans en 1983, ni même pour celui d’Anton Dermota (Preiser), lequel en avait 67 en 1977 tous deux par ailleurs. grands chanteurs d’opéra. L’affaire est donc surtout de nature vocale et d’affinité avec le lied.

La première ne paraît pas dans son domaine ici. Le registre aigu montre l’effort dès le mi ou le fa, sauf pris en voix de tête, ce qui n’est pas toujours souhaitable, sinon d’un métal qui sent trop l’opéra. Le médium et le grave, beaucoup plus aisés, ne donnent pourtant pas la sensation de juvénilité voulue (la couleur du timbre, plus exposée ici sans l’écrin d’un orchestre), plutôt celle d’un adulte un peu rude. Quant à l’affinité stylistique avec le lied— compte tenu de ces réserves tout de même importantes — on reconnaît bien là, en revanche, les qualités rares de Jonas Kaufmann: articulation claire et juste, mise en valeur du mot sans exagération ni afféterie, beaux moments dans la nuance piano ou mezzo forte. Mais ces instants, si justes soient-ils, ne réconcilient pourtant pas le meunier de Schubert avec son interprète. Surtout associé au piano de Helmut Deutsch, d’un mécanisme inhumain, sans doute encore aggravé par une prise de son qui plombe ses graves (captation sur le vif le 30juillet 2009, à la Max-Joseph-Saal de Munich).

On semble avoir bien oublié aujourd’hui le faux pas de Cecilia Bartoli, se risquant à chanter le lied de Beethoven et Schubert (1993); ou la plus récente mésaventure de Renée Fleming dans les lieder de Schubert (1997).Toutes ces stars justement médiatisées s’étaient alors fourvoyées, sans récidive. Il arrive aujourd’hui la même chose à Jonas Kaufmann, mais comme personne n’avait semblé lui prédire un futur aussi éclatant lorsqu’il chantait Fierrabras de Schubert en 2005, l’avenir lui réserve peut-être une nouvelle transformation dans le lied... tant il est vrai qu’on ne saurait être forcément sublime en tout, et tout de suite.
 
 






 
 
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