Classica, mars 2010
Sylvain Fort
Kaufmann, l’homme qui marche
JONAS KAUFMANN EST UN « WANDERER » TOUT DE FORCE ET D’ALLANT, SANS LE SOURIRE, SANS LES GRÂCES QU’ON Y ENTEND SOUVENT.
Choc de Classica
(Sound) Prise de son précise mais un peu mate.
Ce n’est pas le lied qui convient le mieux à la voix de Jonas Kaufmann, mais sa conception entière se résume là. Ce meunier est déjà un voyageur d’hiver. C’est-à-dire qu’il ne découvre pas chemin faisant la cruauté du monde, mais la sait d’emblée, et lui oppose toute la force de son énergie, puis de son refus, avant que ne vienne l’abattement. À aucun moment ne transparaît la frêle naïveté du tout jeune homme. C’est un homme déjà qui parle, et tout ce qui l’assaille réveille des colères ou des rancunes qui ne sont pas d’un adolescent. Cela nous vaut des lieder chauffés à blanc comme jamais («Ungeduld », « Der Jäger »), et lorsque la mélancolie s’en mêle, c’est tout une veine tragique qui surgit (« Die liebe Farbe »). La lumière qui peut éclairer « Morgengruss » ou « Pause » reste voilée — le timbre même du chanteur, autant que son humeur, s’y refuse n’attendons pas un instant les irisations d’un Wunderlich ou d’un Güra. La voix de tête ressemble à un cri étouffé, comme un souvenir venu dévaster le peu d’espoir qui demeurait (« Tränenregen »). Il faut aller chez les barytons, et même chez les barytons les plus sombres — Goerne ou Trekel —pour trouver tant de virilité dans l’ardeur et dans le désespoir. Cette âpreté paraîtra plus d’une fois un rien brutale pour la découpe du lied schubertien. Elle convainc cependant, et émeut, parce qu’elle est constante, né— puisable ce n’est pas une posture, c’est une vision d’interprète, et elle fait surgir des angles peu aperçus ou des accents inouïs — souvent un élan dionysiaque vraiment stupéfiant (« Mein! »).

Helmut Deutsch ici se transformerait presque en Julius Drake; en tout cas on ne l’avait jamais entendu aller chercher au fond de son clavier de ces sonorités riches, mâles, vibrantes.
 






 
 
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