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Resmusica, 12 avril 2017 |
par Jean-Claude Hulot |
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L’étonnante mais contestable prouesse de Jonas Kaufmann dans Le Chant de la terre
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On
salue bien bas la prouesse que réalise Jonas Kaufmann en chantant seul les
six lieder du Chant de la terre de Mahler, mais sa démarche iconoclaste ne
convainc pas pleinement et ne fait pas oublier les grandes références
historiques gravées par de grands chanteurs.
Lorsqu’il compose Le
Chant de la terre en 1908, Mahler choisit d’alterner les lieder pour le
ténor avec ceux pour une voix grave, contralto ou baryton. Si la version
pour contralto est la plus fréquemment exécutée et a donné lieu à quelques
gravures légendaires (Walter-Patzak-Ferrier bien sûr mais aussi
Klemperer-Wunderlich-Ludwig que cite Jonas Kaufmann dans son texte de
présentation), celle avec baryton a connu un défenseur inspiré avec Dietrich
Fischer-Dieskau (surtout avec Bernstein et King à Vienne). Mais jusqu’ici
nul n’avait osé s’approprier tous les lieder comme le fait désormais Jonas
Kaufmann. On est évidemment tenté de crier au sacrilège, mais l’audition du
CD laisse un sentiment plus contrasté. S’il y a bien une certaine trahison
de la volonté du compositeur, il faut aussi reconnaître l’exceptionnelle
sensibilité du ténor, jusque et y compris dans l’Abschied où il trouve de
déchirantes inflexions dignes du souvenir de Ferrier. Quant à l’illustre
Philharmonie de Vienne, sous la baguette attentive sinon inspirée de
Jonathan Nott, elle fait une fois encore preuve d’une splendeur de timbres
et de phrasés devant laquelle on rend les armes ; une mention particulière
pour les interventions du hautbois qui tirerait des larmes d’une pierre…
Néanmoins, malgré la fabuleuse technique de Kaufmann et sa musicalité
transcendante, on ne peut que regretter quand même l’absence du contraste
des voix et des timbres pourtant voulu par Mahler lui-même. Conclusion
partagée donc entre l’admiration pour la prouesse, l’émotion devant certains
passages bouleversants et un certain agacement devant cette distorsion de
l’œuvre. Un CD à garder précieusement mais seulement pour qui connaît
suffisamment son Chant de la terre pour savoir se garder de ses sortilèges
envoûtants mais un brin pernicieux.
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