Opéra Magazine, fevrier 2013
François Lehel
 
Le chef-d'œuvre d'Humperdinck
 
Alors qu'Hänsel und Gretel figurait déjà au catalogue DVD, on rêvait d'y voir un jour entrer l'opéra le plus fascinant du compositeur allemand. C'est désormais chose faite, grâce à une captation de L'Opéra de Zurich, avec le plus beau des «Fils de roi» en tête d'affiche: Jonas Kaufmann.

On ne s'arrêtera pas à critiquer la transposition à l'époque contemporaine de cette production de Königskinder (New York, 1910), créée en novembre 2007 à Zurich, et filmée lors de sa reprise, en février 2010. On peut ne pas l'apprécier, ce qui avait été le cas d'Éric Pousaz, il y a cinq ans (voir O. M. n° 25 p. 63 de janvier 2008), comme on peut aussi très certainement imaginer d'autres choix. Mais, à l'écran du moins, la mise en scène de Jens-Daniel Herzog se révèle vite d'une grande efficacité pour arracher cet apologue amer à la trompeuse apparence du «Märchenoper», du «conte légendaire» qui prolongerait la formule d'Hänsel und Gretel". L'espace unique coiffant simplement la boîte scénique d'un toit à double pente figure, au fil des trois actes, l'intérieur de la maison de la Sorcière, l'auberge et la salle communale de la ville d'Hellabrunn, puis l'extérieur de la demeure initiale, maintenant dévastée. Dans la première, sorte de serre-laboratoire où la grandmère supposée de la Gardeuse d'oies cultive le cannabis qu'elle revend à ses visiteurs, l'héroïne se réfugie auprès de ses oiseaux en carton découpé, qui reçoivent ses confidences et l'aident à préserver son monde intérieur de la tyrannie de la Sorcière. Dans la même unité d'«enfermement» et de répression des âmes enfantines, la salle de réunion du conseil de la ville permet d'exposer à vif la mesquinerie de ses citoyens, qui chassent immédiatement les «fils de roi» au lieu de les reconnaître. Le dernier acte, enfin, d'une tristesse plaintive infinie, voit l'agonie des enfants méprisés et bannis par un monde hostile, sous la neige qui tombe à travers les vitres brisées. Le Ménétrier, dans son chant conclusif, leur rend l'hommage des deux moitiés d'une couronne brisée, dans un autre beau et émouvant tableau, lui aussi valorisé au mieux par la caméra de Felix Breisach.

Sur cette dramaturgie pertinente, qui réussit à rendre compte de la force de l'oeuvre en même temps qu'elle renforce son homogénéité, et dans ce décor refusant les enjolivements romantiques qui masqueraient son âpreté fondamentale, l'excellente direction d'acteurs de Jens-Daniel Herzog suit fidèlement la lettre du livret, pour peindre avec finesse la personnalité de ses deux héros, notamment dans les grands duos du I et du III : d'amour, puis de mort. Comme, avec beaucoup de relief les trois figures du Marchand de balais, du Bûcheron et du Ménétrier.

D'une constante perfection de chant, Jonas Kaufmann, que l'on connaissait déjà en CD sous étiquette Accord (un concert du Festival de Radio France et Montpellier en 2005, dirigé par Armin Jordan) trouve un rôle convenant admirablement à sa personnalité comme à soi, physique, pour ce « Fils de roi » surgi de nulle part, passant de l'héroïsme au lyrisme le plus délicat.

Vocalement moins exceptionnelle, Isabel Rey est une partenaire d'égale classe scénique, jouant très persuasivement l'innocence et la souffrance de l'enfance au I, et tragédienne de première force au III, tandis que Liliana Nikiteanu campe une Sorcière de caractère, et en belle voix. Dans un rôle qui a tenté les plus grands barytons, le Ménétrier d'Oliver Widmer n'est pas au même niveau, mais son personnage reste convaincant. Ingo Metzmacher. enfin, rejoint les meilleures versons audio (ré)éditées récemment, à commencer par la «référence» EMI Classics de 1976, dirigée par Heinz Wallberg, avec Helen Donath, Hermann Prey et Adolf Dallapozza dans les rôles principaux.

L'intelligence et la justesse de l'ensemble fora qu'on pourrait même préférer ce DVD à ces dernières, pour mieux comprendre d'emblée le sens et la portée de l'oeuvre lyrique maîtresse d'Humperdinck, enfin remise à sa vraie place.

 
 






 
 
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