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Forumopera, 11/23/12 |
par Laurent Bury |
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Sans fées ni oies
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On
le sait, Hänsel et Gretel reste envers et contre tous le deuxième opéra le
plus joué en Allemagne. Paris en verra prochainement deux productions très
différentes, au moins par l’ampleur des moyens consacrés à l’opération, à
l’Espace Cardin en décembre et à l’Opéra Bastille en avril 2013. Le
sympathique conte de fées mis en musique par Humperdinck est le spectacle de
Noël plébiscité pour les enfants germanophones, au point d’avoir presque
entièrement occulté le reste de la production opératique de ce disciple de
Wagner. De ces sept œuvres lyriques se dégage pourtant Königskinder, qui est
peut-être son réel chef-d’œuvre. A la création de ces « Enfants royaux » à
New York, Geraldine Farrar était l’héroïne, mais bien peu de chanteuses du
même calibre se sont ensuite confrontées au personnage. Difficile, en effet,
d’interpréter le rôle de cette gardeuse d’oies un peu simplette qui parle à
ses bêtes, qui joue avec elles durant tout le premier acte. Nous voilà aux
prises avec une de ces héroïnes comme la Dinorah de Meyerbeer ou la Fevronia
de Rimsky-Korsakov, qui ont fait sombrer plus d’une production dans une
esthétique de patronage ou de goûter pour enfants, avec figurants déguisés
en bestioles ou troupeau rebelle qui s’égaille sur le plateau. Pourtant, dès
qu’on regarde un peu plus loin, on s’aperçoit que Königskinder est tout sauf
un conte de fées nunuche : le deuxième acte bascule dans la satire sociale,
avec ces habitants de Hellabrun qui attendent leur nouveau roi mais qui ne
sauraient se satisfaire de voir ce poste occupé par un simple porcher (le
fils du roi incognito). Et au dernier acte, le prétendu porcher et la
gardeuse d’oie, rejetés par tous, meurent d’avoir troqué leur couronne d’or
contre un pain empoisonné. Loin de la féerie, l’opéra de Humperdinck nous
plonge dans la plus amère des tragédies, avec une musique qui se souvient de
Tristan et Isolde.
L’opéra de Zürich a eu l’excellente idée de la
remonter cette œuvre pour en fêter le centenaire, œuvre dont on dénombre pas
moins de six intégrales au disque entre 1952 et 2008. Remarqué cet été pour
sa Flûte enchantée salzbourgeoise, Jens-Daniel Herzog a opté pour une
transposition vers une époque incertaine, entre les années 1960 et nos
jours, qui exclut résolument toute forme de merveilleux. Toute l’action se
déroule dans une sorte de « salle polyvalente » aux murs crasseux, dont le
marquage au sol indique qu’elle se prête à la pratique de divers sports
collectifs. « Professoresse » à chignon et à lunettes pointues, la sorcière
cultive des plantes sous des lampes chauffantes, aidée par une jeune
laborantine (la gardeuse d’oies). Au deuxième acte, le local se transforme
en « Hella Snack » où a lieu la fête, le porcher-fils de roi devant revêtir
l’uniforme des serveurs pour ramasser les papiers gras. Après l’entracte, la
salle apparaît dévastée, envahie par la neige qui entre par les vitres
brisées. Et dans ce décor banal à pleurer, digne d’un spectacle de Christoph
Marthaler, les rapports sociaux prennent une acuité plus grande, surtout
avec les très bons chanteurs-acteurs de la distribution zurichoise.
En 2005, René Koering avait eu l’excellente idée d’engager Jonas
Kaufmann pour être le Fils du roi lors du festival de Montpellier. Le ténor
allemand trouve ici un personnage de jeune premier romantique qui lui
convient à la perfection, tant sur le plan physique que vocal (Decca ne s’y
est pas trompé, son nom est inscrit sur le boîtier en plus gros caractères
que quiconque, même le compositeur). Isabel Rey se révèle
scéniquement tout à fait convaincante dans le rôle de cette grande fille
naïve qu’est la gardeuse d’oies ; si l’on ferme les yeux, on s’aperçoit que
le timbre n’a peut-être pas la jeunesse qu’on associe au personnage, mais
l’engagement de l’interprète est tel qu’on passe outre bien volontiers. Dans
un rôle créé par Louise Homer, la tante de Samuel Barber, Liliana Nikiteanu
affiche un aplomb remarquable pour cette sorcière qu’on confie parfois, bien
à tort, à des chanteuses à bout de voix. Les comparses choisis par l’Opéra
de Zurich sont tout à fait à la hauteur et révèlent quelques fort jolies
voix. Le seul point noir est Oliver Widmer, Monsieur Bartoli à la ville. Au
premier acte, il use d’accents gouailleurs et goguenards qui conviennent au
Ménétrier, mais lorsque le personnage doit se métamorphoser en vieux sage,
au dernier acte, il est incapable d’adopter un style plus noble, et ces
intonations se révèlent être chez lui permanentes, ce qui n’est guère
acceptable dans un rôle où l’on a vu se succéder ce que l’Allemagne produit
de meilleur en termes de barytons – Fischer-Dieskau (dans l'intégrale de
1952), Herman Prey (1976), Dietrisch Henschel (1996) ou Christian Gerhaher
(2008). C’est d’autant plus dommage que, si les captations filmées de Hänsel
et Gretel sont nombreuses, on ne risque pas de sitôt de voir un autre
Königskinder en DVD, surtout aussi magnifiquement dirigé que par Ingo
Metzmacher à la tête des chœurs et de l’orchestre de Zürich.
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