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Forumopera, 30 Mars 2016 |
Par Julien Marion |
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La Forza del Destino - Ostentation vocale
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Dans
la galerie des prises de rôle bavaroises de Jonas Kaufmann, voici désormais
disponible en DVD la trace de son Alvaro, reflet de la saison 2013/2014 du
Staastoper de Munich. Cette Force du Destin avait été retransmise à la
télévision en décembre 2013, ce dont Forumopera s'était, à l'époque, fait
l'écho. On se retrouvera sans difficulté dans le jugement émis, à cette
occasion, par Laurent Bury : si l'on doit se procurer la captation vidéo de
cette Force du Destin munichoise, c'est d'abord et surtout pour la griserie
vocale qu'elle procure plus que pour assister à un authentique moment de
théâtre verdien.
Car pour le beau chant, assurément, on ne lésine
pas.
A tout seigneur tout honneur, Jonas Kaufmann comblera ses
nombreux admirateurs dans son incarnation de l'Indien maudit. Son Alvaro,
écrasé par le poids de son destin, jeté sur les routes d'une existence
damnée que n'éclaire nulle lumière, marque les esprits par son chant mâle, à
la virilité assumée mais jamais débraillée, ne franchissant jamais les
frontières du bon goût par une extraversion de mauvais aloi. Tout est tenu,
surveillé, les demi teintes sont dosées avec subtilité, le timbre d'airain
et la puissance peu commune font le reste (« Al chiostro, all'eremo, ai
santi altari » à la fin de la scène 9 de l'acte III est digne d'un Samson
devant le Temple !). Rien à dire, la réputation n'est pas usurpée, et très
vite on rend les armes, même si on doit avouer, sotto vocce, que par moments
(au début surtout) le métal solaire d'un Corelli à Naples en 1958 nous
manque un peu...
L'objet de ses désirs, Anja Harteros, campe une
Leonora elle aussi vocalement superlative, offrant des moments ineffables de
pure vocalité (le duo avec Guardiano au II). Seul l'acte IV la montre un peu
moins à son avantage, avec un « Pace, pace mio Dio» qui trouve son timbre
durci, et manque de ce fait de l'angélisme requis. Mais que de belles choses
!
Chapeau bas aussi à Vitalij Kowaljow, superbe tant en Marquis de
Calatrava qu'en Padre Guardiano ou son legato onctueux fait merveille. En
Père Supérieur, il irradie d'une réconfortante bonté. Son compère en
religion, Fra Melitone, est incarné par Renato Girolami, vocalement très
salubre, qui parvient à éviter les excès de pitrerie et de cabotinerie
auxquels le rôle donne parfois prétexte. Ses deux imprécations (à la fin du
III et au début du IV) sont réellement chantées : bravo ! Il est simplement
dommage que cet effort – louable – de sobriété ait pour effet d'occulter la
dimension comique du personnage, pourtant indéniable.
Quant au Carlo
de Ludovic Tezier, il tutoie les cîmes. Le meilleur baryton verdien du
moment ? Même si l'on se méfie par principe de ces jugements catégoriques,
comment ne pas souscrire à celui-ci ? Il a tout : le timbre, la technique,
la projection, jusqu'au chant sul fiatto de la meilleure école. Ses duos
avec Kaufmann (« Solenne in quest'ora » et « Sleale », heureusement préservé
dans son intégralité au III, « Le minacce, i fieri accente » au IV) font
partie des sommets incontestables de la représentation.
La
Preziosella de Nadia Krasteva frappe par la richesse de son timbre,
l'intelligence de sa gestion des registres, et son chant exempt de
vulgarité. Sur ce dernier point, on lui reconnaîtra un certain mérite, la
mise en scène la cantonnant dans un personnage de mère maquerelle new age
assez peu valorisant.
La mise en scène justement... Signée Martin
Kusej, elle peine à emporter l'adhésion. A sa décharge, on rappellera que
l'oeuvre est, dans la production verdienne, une des plus difficiles à mettre
en scène : un livret capillotracté au delà du raisonnable, et un contraste
assumé entre scènes puissament dramatiques (la majorité) et scènes de genre
ouvertement comiques. Nombre de metteurs en scène, y compris les plus
grands, s'y sont cassé les dents. Le parti pris de Kusej accentue la face
sombre de l'oeuvre, en y faisant évoluer des personnages accablés par le
poids de leur destin, dans une approche finalement assez primaire de
l'oeuvre. On cherche en vain les chemins de traverse ou les éclairages
latéraux qui permettraient de regarder l'oeuvre sous un jour nouveau. Le
commentaire étique qui figure au dos de la pochette (on cherchera en vain un
propos plus développé dans le livret figurant à l'intérieur du coffret...)
mentionne une lecture « post 11 septembre ». On cherche en vain les
allusions idoines, même fugaces... Certaines idées sont esquissées (le poids
de la religion, le renversement de perspective visuelle au début du II) sans
jamais être menées à leur terme. Les décors, mêlant sans logique apparente
le vintage seventies (le repas pendant l'ouverture) à un modernisme passe
partout, n'aident pas le spectateur. Quant aux lumières, très crues, elles
ne créent aucun mystère, et ne font que mettre en évidence le défaut de
fixation de l'improbable tignasse qui accompagne Alvaro tout au long de la
soirée. A la décharge des perruquiers et des maquilleurs du Staatsoper de
Munich, il faut relever que la captation vidéo use et abuse des gros plans,
ce qui, à la longue, finit par lasser à force de fragmentation en donnant
l'impression d'une mise en scène conçue pour le DVD.
On terminera en
signalant que la direction d'Asher Fisch semble surtout préoccupée de mettre
en valeur les somptueuses individualités vocales, sans trop se soucier de
cohérence dramatique (certaines pages pèchent par leur manque de nerf). Il
dispose pour cela d'une phalange orchestrale particulièrement avenante et
riche en qualités premières.
C'est donc d'abord et avant tout pour
sa quinte flush vocale que l'on ira vers ce coffret : les stars sont au
rendez vous, et c'est déjà immense. Pour le reste, et notamment pour le
théâtre verdien, on repassera.
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