L'Avant-Scène Opéra
Jean-Charles Hoffelé
 
LA FANCIULLA DEL WEST Révérence
Mesdames et Messieurs, bienvenus à l'Opéra de Vienne : Isolde, Parsifal et Alberich vont vous interpréter La fanciulla del West. Gageons que si Puccini s'était trouvé en face de Nina Stemme, Jonas Kaufmann et Tomasz Konieczny, il n'aurait pas rechigné. Ni d'ailleurs devant la mise en scène sans histoire de Marco Arturo Marelli, mi-époque de la création (Jack Rance arbore la tenue des officiers de police du LAPD), mi-époque contemporaine (la romance de Jack Wallace sort d'un lecteur de cassette). Une licence à la fin : Minnie et Dick s'envolent dans un ballon aux couleurs du Rainbow Flag (y-a-t-il un message ?) alors que le rideau se referme sur Jack prêt à se révolvériser. Après le subtil décalque cinématographique proposé à Stockholm en 2012 par Christof Loy, ou bien la mise en abyme américaine - avec Marilyn et cimetière de voitures - de Nikolaus Lehnhoff, ce serait un peu court si une direction d'acteur précise, fine, ne menait le récit en le laissant subtilement plié dans la musique.

Comment la Minnie de Nina Stemme pourrait-elle résister au Ramerrez de Jonas Kaufmann, jamais aussi beau gosse depuis quelques années qu'en cette production ? Impossible, d'autant qu'entre tous les rôles pucciniens, celui du sombre Mexicain lui colle autant à la peau qu'au timbre : Puccini n'a pas écrit le rôle brillant, mais plutôt dramatique. Hier Nina Stemme héritait d'un Otello - Aleksandrs Antonenko, formidable de présence et d'intensité -, aujourd'hui elle doit céder devant le sex appeal incroyable du ténor-baryton allemand qui manie aussi bien l'ironie (« la ragazza del campo ») que le pathétique lorsque, blessé par les hommes de Rance, il revient chez elle. Plus encore qu'à Stockholm elle domine le rôle d'une voix unie et campe un personnage diablement émouvant. Tout l'acte II est porté par un trio d'acteurs formidable et culmine dans une partie de cartes d'anthologie. Seul bémol, le timbre caverneux, le mal canto chronique dont souffre le Jack Rance de Tomasz Konieczny qui y supplée par un jeu d'acteur corsé. La troupe est subtilement appariée, avec au sommet le Sonora de Boaz Daniel et la très attachante Wowkle de Juliette Mars, une voix à suivre.

Un trio pour La fanciulla ? Non, un quatuor plutôt, car Puccini a écrit pour le Metropolitan Opera un orchestre somptueux dont Franz Welser-Möst saisit les splendeurs sans les surexposer et dévoile certains alliages sonores qui souvent restent dans la fosse - comme l'accompagnement de la romance de Jack Wallace avec deux harpes (dont une en coulisse) et ses cordes divisées. Soudain, on entend à quel point la culture symphonique de Puccini constitua un atout pour dépasser le vérisme, et on ne s'étonne pas que Welser-Möst suscite à Vienne, en filigrane de son orchestre, celui de Korngold. flamboyer cette partition ô combien délicate, sorte de synthèse, si ce n’est d’acmé, du génie musical français en ce milieu du 19ème siècle.  






 
 
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