C’est
dans une mise en scène de David McVicar que le Royal Opera House de Londres
présentait en janvier 2015 sa nouvelle production d’Andrea Chénier d’Umberto
Giordano avec Jonas Kaufmann dans le rôle-titre, Eva-Maria Westbroek dans
celui de Maddalena di Coigny et Zeljko Lucic dans le rôle de Carlo Gérard.
Une captation de cette production-événement réalisée par Jonathan Haswel est
disponible en Blu-ray et DVD chez. Warner Classics.
Que ce soit dans
son récent Enlèvement au sérail ou dans cet Andrea Chénier, le metteur en
scène David McVicar ne laissera pas le souvenir d’un avant-gardiste mais,
bien au contraire, celui de l'artisan d'une lecture littérale très
travaillée du point de vue historique. Or, dans un paysage scénographique
qui est marqué par la volonté absolue de se démarquer à tout prix et qui
vire trop souvent à la calamité, cette approche posée, élégante, profonde et
procédant d’une vraie recherche fait l'effet dune véritable bouffée d’air
frais. Ici, la qualité du travail se retrouve dans les divers Arts de la
scène, lesquels se placent au service de l’œuvre et non de l’ego du metteur
en scène qui s'interpose entre l'œuvre et le public. Cet Andrea Chénier
regorge de détails qui s'inscrivent dans une direction d’acteurs toujours
subtile, et dans une gestion millimétrée des grands ensembles qui
parviennent à éviter le piège du hiératisme.
Il serait sans doute
assez difficile de transposer cet épisode de la Révolution française dans un
autre contexte (encore que certains oseraient certainement...), mais il
n’empêche que le résultat est là et que le spectateur se voit réellement
emporté dans le tourbillon destructeur qui sert de cadre à une histoire
d’amour lyrique et passionnée. Le sens est là, et l’émotion aussi, au plus
haut point. Rien de passéiste mais juste de l’Histoire pour parler à notre
cœur et notre esprit.
Parlant d’histoire d’amour et de passion, le
duo formé par Eva Maria Westbroeck et Jonas Kaufmann avait déjà conquis le
monde entier depuis le Metropolitan Opera de New York avec La Walkyrie mise
en scène par Ropert Lepage qui reste encore dans les mémoires. Or la magie
est de retour dans cet Andrea Chénier d’anthologie… Faut-il encore louer
la performance de Jonas Kaufman tant elle a été maintes fois décrite ? Eh
bien oui, car le ténor ne cesse d'éblouir par son élégance et par la
justesse de son interprétation, toute en nuances et pourtant si pudique,
évidente et bouleversante à la fois. Quant à Eva Maria Westbroeck, la fusion
opérée avec Andrea est palpable à chaque moment jusqu’à l’issue finale,
renversante. Sa grâce n’a d’égale que l’agilité de ces aigus
impressionnants, mais jamais au détriment de graves suaves.
Une autre
performance à saluer est celle de Zeljko Lucic, qui fut un Iago et un
Rigoletto remarquables, parfaitement à son aise dans le rôle de Carlo
Gérard. Son timbre d’airain balaie tout sur son passage et nous saisit à
bras-le-corps sans jamais la moindre faiblesse.
Dans cette approche
exemplaire, il serait injuste de ne pas citer les remarquables décors de
Robert Jones, et les costumes de Jenny Tiramini qui s'accordent parfaitement
à la narration. De même, les lumières d'Adam Silverman ajoutent à la
puissance visuelle du spectacle, que ce soit dans les scènes intimistes,
lorsqu'il s'agit de figurer un salon de la haute société ou quand la
violence s'illustre.
Dans la fosse, Antonio Pappano distille comme à
son habitude passion et générosité et permet à l'Orchestre du Royal Opera
House de déployer une richesse de couleurs absolument confondante, en
parfait accord avec le drame. Cohérence totale, et amour du matériel se
ressentent à chaque instant dans cette approche opératique majuscule.
Andrea Chénier n’est peut-être pas l’opéra le plus connu du répertoire,
mais rarement aura-t-il été aussi magnifiquement servi. Quoi qu'il en soit,
cette production témoigne des authentiques qualités d'une œuvre lyrique
propre à inspirer les plus grands.
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