Classiquenews, 05.09.2016
par Lucas Irom
 
Kaufmann en poète libertaire et insoumis
DVD, compte-rendu critique. Giordano : Andrea Chénier (Kaufmann, Zeljko, Pappano, janvier 2015). Sur la scène du Royal Opera House de Londres, Jonas Kaufmann éblouit dans le rôle d’Andrea Chénier (1896) ; le ténor apporte au héros révolutionnaire conçu pour l’opéra par Giordano, une vérité irrésistible. L’acteur poète sur la scène londonienne frappe et saisit par sa finesse de style, son expressivité ardente et sensible… La clarté du chant impose une conception très dramatique et efficace du poète (victime de Robespierre en 1794) en lequel Madeleine de Coigny, jeune noble détruite par les révolutionnaires, voit son sauveur, le seul homme capable de la sauver.
 
Sans posséder l’angélisme ardent et incandescent d’une Tebaldi, la soprano Eva-Maria Westbroek, même en possédant ce soprano spinto requis pour le personnage, peine sur toute la durée, usures et limites d’une voix hier encore préservée (aigus ici instables). Mais le jeu juste de l’actrice touche (sa « Mamma morta » surgit de l’ombre et s’embrase progressivement : belle intelligence de vue). Mais l’absence de moyens vocaux rend sa prestation déséquilibrée : c’est d’autant plus regrettable que les duos entre les deux amants perdent en acuité, en vérité émotionnelle.

Si Kaufmann apporte une profondeur psychique à Chénier, le baryton serbe très doué et charismatique Zeljco Lucic « ose » et réussit un Gérard, tiraillé par ses propres démons intérieurs, entre désir et conscience politique ; le rôle est comme un double pour celui de Chénier : haine puis renoncement ; le chanteur réalise lui aussi une superbe incarnation.

D’ailleurs les comprimari, ou « rôles secondaires » composent une galerie de tempéraments parfaitement défendus … ainsi se détachent la Bersi animée de Denyce Graves, la Comtesse de Coigny, fière et tendue de Rosalind Plowright, l’Incroyable
intriguant serpentin de Carlo Bossi. Troublante et d’un impact inouï, l’alto profond guttural de la Madelon ancestrale d’Elena Zilio. Aucun doute, Giordano sait faire du théâtre.

Antonio Pappano, d’un souci instrumental magistral, veillant aussi à l’équilibre plateau / fosse, dans une balance très équilibrée et limpide, montre à l’envi et déroutant tous ces détracteurs, quel chef lyrique il est devenu : – le récent récital VERISMO d’Anna Netrebko (2 septembre 2016 : CLIC de CLASSIQUENEWS) nous le prouve encore, comme son AIDA récente
éditée par Warner également : baguette fine, élégante et expressive, d’une profondeur incarnée…

Sur la scène, la mise en scène de David McVicar reste conforme au travail du Britannique : efficace, esthétique, surtout classique, ressuscitant la France Révolutionnaire avec vérité, capable de glisser avec horreur de l’insouciante monarchie à la terreur des révoltés. La tourmente collective impose un contraste d’autant plus mordant avec le profil des individualités aussi finement incarnées, habitées que celle de Chénier ou dans une moindre mesure de Madeleine, à cause des imperfections trop criardes de la soprano Eva-Maria Westbroek ; quel dommage pour elle, sa carrière n’aura pas briller par sa longévité. Au final une excellente performance globale dont le mérite tient à la subtilité des portraits des solistes et de la tenue d’un orchestre qui musicalement sait éviter tout pathos vériste surexpressifs. Le chant de Kaufmann est au diapason d’une élégance intérieure et d’une grande sobriété expressive. Gloire à l’intelligence et la finesse stylistique : l’opéra vériste en sort vainqueur. Et sur un sujet historique, la fessue historique y gagne un relief plein de rage, de fureur, d’exaltation mesurée, au service d’un idéal républicain en proie au chaos (la mise en scène de McVicar affiche clairement l’enjeu dramatique global : « la patrie en danger »). Réjouissant.






 
 
  www.jkaufmann.info back top