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Forumopera, 20 Avril 2016 |
Par Christian Peter |
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Jonas, plus crédible en victime qu'en assassin
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Jonas
Kaufmann semble pris depuis quelque temps d’une fringale de nouveaux
rôles qu’il enchaîne à une cadence effrénée. Ainsi, ces cinq dernières
saisons se sont succédé Siegmund, Faust, Don Carlo, Bacchus, Parsifal,
Manrico, Dick Johnson, Alvaro, le Des Grieux de Puccini, Andrea Chénier
et Radamès. Un choix éclectique auquel il faut ajouter les tournées de
concerts (Winterreise, Puccini…). La plupart de ces spectacles ont fait
l’objet d’une captation en CD ou DVD, ce qui constitue une manne pour sa
maison de disque et une ruine pour ses fans (mais quand on aime,
n’est-ce pas, on ne compte pas).
Le chanteur le plus adulé du
moment pouvait donc difficilement passer à côté du fameux diptyque
Cavalleria Rusticana et Pagliacci que la plupart des grands ténors ont
mis un point d’honneur à aborder. C’est au cours du Festival de Pâques
2015 de Salzbourg que Jonas Kaufmann a ajouté à son répertoire ces deux
opéras qu’il interprète, comme d’autres l’ont fait avant lui, au cours
d’une même soirée, dans une nouvelle production signée Philipp Stölzl.
Le metteur en scène munichois propose pour les deux ouvrages un
dispositif ingénieux : le plateau se divise en six cases rectangulaires,
superposées trois par trois sur deux niveaux, qui sont autant de
mini-scènes de théâtre dont les rideaux s’ouvrent alternativement ou
simultanément. Lorsqu’ils sont fermés, ils servent d’écrans sur lesquels
sont projetées des vidéos, le plus souvent des gros plans des chanteurs.
Cette configuration permet aux spectateurs de voir ce qui se passe en
plusieurs endroits différents.
Pour Cavalleria Rusticana, les
décors représentent, selon les cases, la mansarde de Santuzza, une pièce
dans l’appartement de Mamma Lucia, une rue, le parvis de l’église, les
toits du village, le tout dans des tons noir et blanc aux reflets
bleutés, tout comme les costumes. Certains tableaux, le dialogue entre
Turridu et Alfio au pied d’un lampadaire par exemple, évoquent les films
noirs des années cinquante.
Annalisa Stroppa est dotée d’un
physique avenant que met en valeur sa robe décolletée et courte dont la
couleur claire tranche avec les vêtements des autres protagonistes. Son
timbre fruité ne manque pas de séduction. Elle campe une Lola accorte et
mutine tout à fait convaincante. Ambrogio Maestri qu’on a l’habitude de
voir dans des rôles comiques parvient à incarner un Alfio inquiétant à
souhait. Affublé d’un costume rayé et flanqué de deux acolytes aux mines
patibulaires, il est l’incarnation parfaite du mafieux méprisant et imbu
de sa personne. Vocalement sa prestation est irréprochable. Stefania
Toczyska possède une voix sombre et homogène sur laquelle les années
semblent ne pas avoir de prise. Austère dans sa tenue, les cheveux
relevés en chignon, des lunettes sur le nez elle est tout à fait
crédible en mamma sicilienne stricte et sévère mais non dénuée de
compassion. Liudmyla Monastyrska dispose d’un volume vocal qu’on devine
impressionnant, ce qui n’empêche pas la cantatrice de nuancer sa ligne
de chant notamment dans « Voi lo sapete o mamma » où l’ampleur de son
registre aigu montre bien que Santuzza convient mieux à un soprano
dramatique qu’à un mezzo. La qualité de son timbre fait oublier une
diction parfois molle. Son visage triste et résigné et ses vêtements
sombres en font l’exact opposé de Lola. Quant à Jonas Kaufmann il est un
Turridu plus sicilien que nature, un exploit pour un chanteur
germanique. Il s’empare de son personnage avec une conviction qui laisse
pantois. A l’insouciance qu’il exprime dans l’air « Viva il vino
spumeggiante » succède le désespoir qui éclate ensuite dans un « Mamma
quel vino è generoso » poignant, interprété sans excès de pathos, avec
un style d’une rare élégance et une émotion contenue. Peu de ténors sont
parvenus à autant d’intensité dramatique avec une telle économie
d’effets.
Hélas, force est de reconnaître que le ténor ne réussit
pas le même tour de force dans Pagliacci. Arborant une barbiche pointue,
coiffé d’une banane comme un rocker des années cinquante et vêtu d’un «
marcel » qui dévoile de nombreux tatouages sur les bras et les épaules,
son apparence est tout à fait vraisemblable, mais à force de vouloir
faire un sort à chaque mot son « Recitar, mentre preso dal delirio »
manque de spontanéité. Trop d'artifice tue l'émotion. Il suffit
d’écouter ce que propose dans cette page Placido Domingo qui a souvent
chanté ces rôles pour mesurer tout ce qui sépare les deux
interprétations. Dans l’air « No, Pagliaccio non son » là où le ténor
espagnol ressemble à un fauve qui traque sa proie, Jonas Kaufmann
demeure sur son quant à soi. Même la façon dont il commet son double
meurtre n’est pas très crédible. Sans doute une plus grande
fréquentation de l’ouvrage lui permettrait de mieux cerner le personnage
mais à l’heure actuelle le ténor allemand semble être passé à autre
chose : deux prises de rôle s’annoncent déjà, Hoffmann et Otello ainsi
que des reprises de Cavaradossi, Lohengrin et Andrea Chénier.
Le
reste de la distribution de l’opéra de Leoncavallo s’avère inégale : Si
Tansel Akzeybek chante sa célèbre sérénade « O Colombina » de manière
exquise, Alessio Arduini incarne un Silvio quelque peu effacé en dépit
d’un timbre charmeur. Dimitri Platanias semble limité dans le registre
aigu. Son prologue ne manque pas d’intérêt mais son Tonio tout d’une
pièce n’est pas très subtil, loin s’en faut. Maria Agresta est une Nedda
à la sensualité débordante, notamment dans son duo avec Silvio où son
timbre capiteux fait merveille, mais dans son air « O che bel sole di
mezzo agosto » sa voix, trop lourde, peine à imiter le chant des
oiseaux.
Soulignons enfin les grandes qualités et l’homogénéité
des différents chœurs convoqués pour la circonstance.
Le
dispositif scénique, on l’a dit, est identique à celui de Cavalleria
rusticana mais cette fois les décors sont en couleurs, vives comme les
costumes des personnages de la commedia dell’arte.
A la tête de
la Staatskapelle de Dresde, Christian Thielemann dirige les deux
ouvrages avec clarté et précision tout en évitant de sombrer dans les
effets faciles qu’on entend quelquefois dans ces musiques. C’est
cependant dans l’opéra de Mascagni que sa battue aux contrastes
tranchants convainc le mieux.
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