Concertonet, 07.10.2012
Gilles d’Heyres
 
Georges Bizet : Carmen (version de 1875, reconstituée par Fritz Oeser)
 
Kozená – Rattle – Berlin... ticket gagnant? Pas dans Bizet en tout cas! On se réjouit pourtant qu’une équipe aussi prestigieuse offre un enregistrement aussi soigné de Carmen (1875), édité par EMI dans un petit livre au format CD, sans livret imprimé mais joliment illustré (voir la vidéo de présentation). L’interprétation, qui reprend un spectacle déjà rodé sur scène, suscite toutefois la même déception qu’à Salzbourg l’été dernier.

Le disque souffre de trois défauts majeurs. Le rôle-titre d’abord, confié à Magdalena Kozená qui glace ce qu’on aimerait voir s’enflammer. Comme l’écrivait Claudio Poloni, «cette Carmen ressemble à une chatte, alors qu’elle devrait être une tigresse, à aucun moment elle ne dégage la complexité ni la sensualité et la volupté du personnage». La cantatrice en convient d’ailleurs avec une désarmante franchise: «Je n’ai rien de Carmen, ni physiquement, ni vocalement (...) Je savais depuis le début que ma prise de rôle ne serait pas appréciée par tout le monde». C’est le moins qu’on puisse dire, tant la prosodie comme la sentimentalité paraissent hors de propos – au bord du ridicule par moments.

La Tchèque fait preuve d’une belle clairvoyance en soulignant que «dans les cinquante dernières années, Carmen est devenue une sorte de grand opéra à l’italienne (...) Mais il a été écrit pour l’Opéra Comique, si bien qu’il est inutile de déployer une orchestration trop puissante». C’est précisément le deuxième problème de cet album: malgré la perfection sonore et l’engagement infaillible du Philharmonique de Berlin, Simon Rattle confond Bizet et Wagner... et violente cette musique à laquelle il ôte son caractère propre – au profit d’un son léché et trop puissant, et même pesant voire agressif.

La troisième faille réside dans une distribution inégalement engagée, où le soin porté à la langue française est globalement insuffisant – tant dans le chant (à commencer par Kozená, qui maîtrise pourtant admirablement la langue de Molière) que dans les dialogues parlés, d’une platitude consternante. Il serait cependant injuste de ne pas rendre hommage à la Micaëla touchante (quoique scolaire) de Genia Kühmeier – qui évoque la jeune Barbara Hendricks – et, surtout, à l’admirable Don José de Jonas Kaufmann – intensément mâle, aux explosions conquérantes et qui n’en fait jamais trop dans le larmoyant.


 
 






 
 
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