Classique News, 13.10.2014
par Carter Chris-Humphray
 
Ariadne, somptueuse version de 1912
 
Toute la verve des deux auteurs (Strauss et son librettiste Hofmannstahl, rappelons le, fondateurs du festival autrichien en 1922) est là : entre comique bouffon (première partie savoureuse entre théâtre et scène chantée) et déclamation tragique (l‘opéra proprement dit dans la seconde partie), deux mondes qui cependant, malgré leur antinomie, faisaient contraste, réalisent un théâtre jubilatoire, et même ici d’une irrésistible cohérence. Hofmannsthal est d’ailleurs présent sur scène accompagnant les chanteurs acteurs comme s’il s’agissait en présence du commanditaire, d’une répétition générale.

Saluons la tenue excellente des comédiens italiens, quatre chanteurs impeccables ; de même, la Zerbinette parfois vociférante et imprécise dans sa coloratoure infinie, mais présente et puissante d’Elena Mosuc dont l’habit entre la fraise tagada et le pouf Second Empire restera mémorable ; l’Ariane d’Emily Magge, dont les basses absentes, et la ligne lisse, empêchent une pleine incarnation troublante et réellement déchirante de l’amoureuse abandonnée par Thésée, sur son rocher de Naxos. L’attente se fait sentir quand paraît finalement l’époustouflant Bacchus de Jonas Kaufmann : le libérateur, le salvateur, prototype du héros providentiel, celui dont le chant dionysiaque et exalté, félin, animal, assure la résurrection d’Ariadne tragique qui s’était vouée à la mort. Leur rencontre est un instant magique, inscrit au coeur de la mythique hofmannsthalienne. Les spectateurs s’accordent à la langueur pâmée de la princesse : ils se laissent totalement hypnotiser par le chant ardent et voluptueux, tendu, viril, osons le dire… érotique, du ténor germanique. L’impact est total. Et la réussite de son apparition, suprême. C’est en définitive par un subtil jeu de mise en abîme tout au long du spectacle, une référence allusive à la relation trouble d’Hoffmannsthal et de la jeune veuve Ottonie von Degenfeld, liaison ou attraction que révèle la correspondance de l’intéressé.

L’engagement de tous les interprètes (les 3 nymphes accompagnant et contrepointant Adriadne sont d’une rare éclat vocal comme scénique), la version retenue ici (donc celle des origines soit 1912), les couleurs somptueuses du Wiener Philharmoniker, le plateau vocal globalement passionnant, révèlent dans la scénographie très efficace de Sven-Eric Bechtolf, le raffinement de cette comédie douce amère qui renoue avec le Cosi fan gutte de Mozart, entre verve délirante, délicieuse ivresse, profondeur poétique. Une remarquable production salzbourgeoise heureusement transférée en DVD.
LB





 
 






 
 
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