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Opéra, Octobre 2015 |
RICHARD MARTET |
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Aida
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le naufrage de l’intégrale de Nikolaus Harnoncourt chez Teldec, en 2001,
aucune multinationale n’avait osé enregistrer Aida en studio, préférant
inonder le marché de DVD pour la plupart inutiles. On ne peut donc que
saluer l’effort de Warner Classics, avec cette version gravée à Rome, en
février 2015, peu avant un concert à l’Auditorium Parco della Musica.
Dans mon éditorial du dernier numéro, j’écrivais en espérer tout. Le
moins que l’on puisse dire, c’est que mes attentes ne sont pas déçues,
cette nouvelle Aida se hissant dans les tout premiers rangs de la
discographie. Certes, elle ne détrône aucune des références, mais les
complète avec un panache et un savoir-faire (la qualité des comprimari
!) que l’on croyait définitivement révolus dans Verdi.
La
distribution, d’abord, dans l’absolu la meilleure que l’on puisse réunir
aujourd’hui, tient toutes ses promesses. Avec son timbre séduisant, son
émission franche, son aigu percutant et son grave raisonnablement
poitriné, Ekaterina Semenchuk s’inscrit dans la meilleure tradition des
Amneris jeunes, «claires» et féminines.
D’excellente tradition,
aussi, l’Amonasro de Ludovic Tézier, voix saine et solide, fermement
projetée, capable de soutenir sans faillir le -legato impitoyable de la
phrase «Pensa che un -popolo», à la fin de son duo avec Aida. Ainsi que
le Ramfis sonore et inhabituellement fouillé d’Erwin Schrott – même si,
en termes de qualité du timbre et de profondeur du grave, on se situe
loin en dessous des grands titulaires du passé.
Jonas Kaufmann
qui, au moment de l’enregistrement, n’avait pas encore abordé Radamès à
la scène, est de bout en bout exceptionnel. Ceux qui recherchent pour le
général égyptien le soleil d’un Franco Corelli ou d’un Luciano Pavarotti
en seront évidemment pour leurs frais. Le ténor allemand n’est pas
«solaire», on le sait. Il est, en revanche, éclatant, avec un mélange
d’héroïsme et de vulnérabilité convenant idéalement au personnage. Et
quelle arrogance dans l’aigu, quel métal et quelle richesse dans le
médium et le grave, quel sens des gradations dynamiques, quelle
intelligence du rôle !
Anja Harteros, enfin, est une Aida à part.
Ni par le timbre, ni par le phrasé, ni par la manière d’aborder l’aigu
(sa palette de nuances s’arrête à «dolce» et «piano», y compris quand la
partition indique «dolcissimo» et «pianissimo»), elle n’est le grand
soprano lirico spinto d’école italienne auquel nous sommes habitués.
Avec des moyens différents, c’est à Leonie Rysanek que l’on serait tenté
de se référer si, plutôt que de se perdre dans d’inutiles comparaisons,
on n’avait pas envie, passé le premier moment de surprise, de
s’abandonner tout simplement à ce chant jouant divinement des effets de
clair-obscur, un peu trop encombré de précautions parfois, mais
tellement émouvant.
«Tradition» est encore le mot qui vient sous
la plume pour décrire la direction puissante et charpentée d’Antonio
Pappano, à la tête des forces de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia,
insurpassables aujourd’hui dans ce répertoire et très bien mises en
valeur pas la prise de son.
Une Aida qui s’écoute d’une traite,
la tête et le cœur remplis de bonheur.
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