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Resmusica, 20 juin 2012 |
par Pierre Degott |
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Quatuor de stars pour Adriana Lecouvreur
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Les
belles productions d’Adriana Lecouvreur ne font pas légion, et l’on se
réjouira de la parution de ce DVD issu des représentations données à Covent
Garden au cours de l’automne 2010, lorsque la prise de rôle d’Angela
Gheorghiu, artiste particulièrement chérie du public londonien, avait
défrayé la chronique. C’est pourtant tout d’abord la réussite d’ensemble que
l’on saluera, à commencer par la direction musicale attentive de Mark Elder,
qui de toute évidence croit et chérit une musique qui continue en France à
compter bien des détracteurs. Loin de se contenter de bichonner ses stars,
le chef anglais soigne tout particulier les nombreux ensembles musicaux qui
émaillent cette partition issue du vérisme italien, mais qui n’en préserve
pas moins son originalité et sa spécificité.
La mise en scène de
David McVicar, axée sur l’exploration du concept du « théâtre dans le
théâtre », est également d’une grande finesse, parvenant presque à rendre
compréhensible une des actions les plus alambiquées du théâtre lyrique. En
ne cessant de montrer comme il le fait les aspects les plus divers de «
l’envers du décor », le metteur en scène écossais réussit également à mettre
à nu tous ses personnages, perdus l’un comme l’autre, et chacun à sa
manière, dans un monde d’illusions qu’ils ont bien du mal à distinguer de la
réalité. Adriana est en effet loin d’être la seule à rêver et à fantasmer sa
vie de femme, qu’elle semble avoir tant de mal à dissocier de celle des
héroïnes qu’elle incarne sur scène.
Le plateau réuni sur la scène de
Covent Garden est en tout point exceptionnel, à commencer par les
comprimari, tous irréprochables. Dans les rôles plus consistants, Alessandro
Corbelli est un Michonnet bouleversant, lui aussi accroché à rêves et à ses
illusions ; son jeu sobre et digne, son chant soigné et sans emphase,
soulignent l’humanité d’un personnage réellement attachant. Olga Borodina
est quant à elle une torrentielle princesse de Bouillon, déchaînée dans sa
passion et tout à fait dans la tradition des grandes mezzos (Simionato,
Cossoto, Obrastsova) qui ont marqué le rôle de manière indélébile. Jonas
Kaufmann lui est presque supérieur encore en Maurizo. Doté du physique
idéal, il n’hésite pas à faire ressortir la duplicité d’un personnage
manipulateur, partagé entre son ambition politique et la sincérité de ses
sentiments. Son chant vaillant et subtil, la beauté des ses phrasés
demeurent eux aussi tout à fait exemplaires.
En Adriana, le
personnage composé par Angela Gheorghiu risque de ne pas remporter
l’adhésion. Son parti pris de faire de la tragédienne mythique de la
Comédie-Française, de l’incarnation de la Diva avec un grand « D », une «
petite femme » puccinienne s’éloigne de la tradition des Adriana « grande
dame du théâtre » telle qu’elle a été façonnée dans les années 1950 par les
Olivero et Tebaldi. L’Adriana de Gheorghiu, perdue dans ses fantasmes et son
monde imaginaire, tient davantage, il est vrai, de la midinette, et c’est
bien là son charme, sa vérité et sa tragédie. Écrasée par le monde des
puissants, Adriana meurt d’avoir voulu sortir de l’univers social et
professionnel auquel elle était semble-t-il destinée. Sur le plan vocal,
Gheorghiu déploie les sortilèges d’un instrument de taille certes moyenne –
davantage Mimi que Tosca… – mais dont elle se sert avec délicatesse pour
caresser les sublimes phrases de sa partie, plus sans doute que pour
s’investir à fond dans les grandes scènes dramatiques : la déclamation de
Phèdre à la fin du troisième acte reste à cet égard un des passages les
moins convaincants de sa prestation.
On pourra donc se délecter sans
réserve de ce DVD très réussi, qui permettra en plus de redécouvrir une
œuvre que l’on croit connaître, mais qu’il est toujours stimulant d’explorer
plus avant.
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